Paris est une Pride

par | 29 juin 2023 | Aucun com­men­taire

Il m’aura fal­lu attendre mes trente ans et un week-end pari­sien en visite chez Éléments, cœur his­to­rique de la Nouvelle Droite, pour par­ti­ci­per same­di 24 juin à ma pre­mière « Marche des fier­tés ». Direction Place de la Nation, où une immense sta­tue de Marianne nous attend, flan­quée de toute part de dra­peaux arc-en-ciel, sur­veillant avec bien­veillance, dans une odeur de crème solaire, les diva­ga­tions mili­tantes de ses enfants ché­ris : Le Triomphe de la République.

Pour être franc avec vous, de la Gay Pride, jusque-là, mon exper­tise reste rela­ti­ve­ment limi­tée… En mar­chant vers elle, bien sûr, j’ai quelques rémi­nis­cences qui me reviennent, sou­ve­nirs inavouables et vague­ment dis­sous dans le brouillard d’un sketch hila­rant de Dieudonné, de pages non moins mémo­rables de Philippe Muray. Je m’attends à trou­ver là, sous mes yeux, à chaque coin de rue, une fan­fare véri­ta­ble­ment folk­lo­rique, d’immenses chars rem­plis de folles et une mul­ti­tude d’hommes rôdant de toute part, dou­teu­se­ment vêtus de cuir et jouant volon­tiers les petits chiens sou­mis, tou­jours par­fai­te­ment tenus en laisse mais jamais avares d’une petite gâte­rie en public.

Arrivé sur place, pour­tant, il me faut rapi­de­ment déchan­ter en consi­dé­rant le réel qui m’entoure, ce réel auquel nous nous sommes si bana­le­ment habi­tués. Mis à part quelques rares spé­ci­mens à l’excentricité osten­ta­toire, c’est tout juste les mêmes petits-bour­geois ano­dins que j’aperçois autour de moi, ces tou­ristes uni­ver­sels et autres éter­nels étu­diants pour tou­jours en Erasmus qui arpentent les trot­toirs de toutes les capi­tales du monde occi­den­tal, de Lisbonne à Tel-Aviv, ici sim­ple­ment agglu­ti­nés en masse, avec leurs che­veux mul­ti­co­lores, leurs torses épi­lés et leurs lunettes de soleil, leurs tenues impro­bables et les innom­brables tatouages et pier­cings qui leur recouvrent hasar­deu­se­ment le corps. Un concen­tré, en somme, de cet habi­tuel mau­vais goût rava­geur que cha­cun d’entre eux se plait à char­rier avec lui tous les jours de l’année.

Au beau milieu des badauds inver­tis, bas­kets aux pieds et petit polo noir comme il faut, cas­quette LGBT cor­rec­te­ment vis­sée sur la tête et petites lunettes rondes sur le nez, un jeune ven­deur à la sau­vette d’origine magh­ré­bine trim­balle devant lui son cha­riot d’accessoires. Casquette a quinze euros et dra­peaux arc-en-ciel à pro­fu­sion, cinq euros le petit et dix euros (ne pas pro­non­cer la liai­son pour entendre la voix de notre véné­rable com­mer­çant) le grand. Fasciné par l’agilité mar­chande de ce per­son­nage impro­bable, je m’approche irré­sis­ti­ble­ment de lui :
« Ça va, tout se passe bien ?
– Hamdoullah mon frère ! »
Grâce à Dieu, les affaires roulent plu­tôt bien pour lui. Et la banane qui ceint ses hanches gras­souillettes s’emplit de doux billets colo­rés à chaque minute qui passe. Le cous­cous de ce soir s’annonce déjà bien gar­ni ! Il ne fau­dra pour autant pas oublier ses cinq prières en ren­trant ce soir à la mai­son, his­toire de gagner son lit conve­na­ble­ment et s’endormir du bon som­meil du juste.

Je finis tout de même par tom­ber sur un être intri­gant, à l’al­lure andro­gyne et hybride, sorte de cen­taure post-moderne tout droit sor­ti d’un man­ga, mi-elfe mi-che­val, sa tête fine­ment maquillée n’étant sépa­rée de grosses jambes bien poi­lus et dotées de talons aiguilles que par une fine robe bleue à paillettes. À l’aise comme un moine fran­cis­cain dans un club échan­giste newyor­kais, je par­viens mal­gré tout à entrer en contact avec lui, armé de mon plus grand sou­rire, pour l’entendre lon­gue­ment déplo­rer l’absence de char cette année pour motifs éco­lo­giques… Alors que je com­mence à m’apitoyer insen­si­ble­ment sur son sort, dans un élan de com­pas­sion dalaï-lamesque impré­vu, ma petite reine des neiges toute velue retrouve son sou­rire, me ras­sure et me dit que la fête reste mal­gré tout tel­le­ment belle. Moi-même je me dois de « kif­fer » ma pre­mière Pride.

Revigoré par ce moment de com­mu­nion inouï, c’est le cœur char­gé d’humanité que je remonte des flots de mani­fes­tantes tou­jours plus jeunes. Alors que je com­mence à me perdre dans un maré­cage de jeunes filles d’une quin­zaine d’années tout au plus, je finis pro­vi­den­tiel­le­ment par tom­ber sur Laurie, 24 ans, mili­tante « queer » de son état. Passablement enivrée, elle me fait part à son tour de tous ses états d’âme. Selon elle, la Pride se serait trop tik­to­ki­sée cette année et les jeunes géné­ra­tions blanches et woki­sées délais­se­raient par trop les raci­sés. J’allais jus­te­ment le dire.

Eh oui, inévi­ta­ble­ment, les années passent et la Pride s’embourgeoise et se cégé­tise. De Nation à République, la com­mu­nau­té LGBTQIA+ peine à retrou­ver les joies enivrantes de la mar­gi­na­li­sa­tion pri­mor­diale. Et même à grand ren­fort de pan­cartes toutes plus bur­les­que­ment lubriques les unes que les autres (« Vive la pêche aux moules ! »), dix ans après la pro­mul­ga­tion du mariage pour tous, nos pauvres mili­tants échouent piteu­se­ment à sub­ver­tir davan­tage les consciences… Il faut hélas recon­naître que dans ce bas monde, mis à part pour notre bon vieux ven­deur mul­ti-cas­quettes, il ne nous est que trop rare­ment don­né d’obtenir à la fois le beurre et son fameux argent. Alors, pour se redon­ner un peu de conte­nance, et retrou­ver un embryon de joie, la foule scande à l’unisson toute sa haine de l’« extrême droite » ; et dans une grande injus­tice, leurs slo­gans mal­heu­reux viennent heur­ter de plein fouet le Rassemblement National, par­ti pour­tant le plus ouver­te­ment lopet­to­phile de France.

Le soir même d’ailleurs, c’est Frédéric Falcon, dépu­té RN de la Narbonnaise, qui nous gra­ti­fie­ra, dans une langue que l’on qua­li­fie­ra pour le moins de dou­teuse, d’un tweet magis­tral aus­si énorme que renversant :

Avec une Pride ain­si mena­cée par la gauche éco­lo (et qui sait peut-être un jour par l’im­mi­gra­tion musul­mane ?), vive­ment que le RN arrive rapi­de­ment au Pouvoir pour garan­tir les valeurs fes­tives de la République et redon­ner à Paris toutes les cou­leurs et le vacarme qu’il convient à sa gaye­té. Pourtant, sur la forme comme sur le fond, l’extrême-gauche, l’extrême-centre et l’extrême-droite font la Pride à l’unisson.

Paris Pride - Juin 2023

Je res­sors de là deux heures plus tard, com­plè­te­ment esso­ré, acca­blé par la cha­leur envi­ron­nante et subi­te­ment assoif­fé. Je m’arrête au Carrefour Market le plus proche et m’empare de la pre­mière bou­teille bien fraîche qui s’offre à moi. Je tombe sur quoi ? Une canette de Coca !

Tom Benejam
27 juin 2023

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