Paysan, méfie-toi ! Méfio tè !
Méfie-toi de tes syndicats et organisations soi-disant représentatives. Que ce soit la FNSEA ou autres pseudo syndicats agricoles, j’ai toujours entendu dans les années 50 et 60 mon père et mon oncle (mon grand-père adoptif), petits propriétaires de terres ingrates dans un Haut-Limousin pauvre, dire déjà à l’époque :« Ils ne nous défendent pas », « Ils ne s’occupent que des intérêts des gros », « Les betteraviers de la Beauce habitent le 16e arrondissement, ce ne sont pas des paysans ». Crois-tu une seule seconde que l’actuel président de la FNSEA, actionnaire et dirigeant de multiples grosses sociétés aux activités internationales, ressente quelque solidarité que ce soit avec toi ? Notamment possède le moindre intérêt commun avec toi ?
Méfie-toi des coordinations plus ou moins spontanées qui prétendent se substituer aux institutionnels et parler, elles aussi, en ton nom. Elles souvent infiltrées, par entrisme de toute une gauche extrême, qui sait comment se servir des techniques trotskystes et plus généralement gauchistes. L’extrême-gauche et les anarchistes ont investi les rangs des Gilets Jaunes et leur ont pourri, par la dialectique extrémiste et par les débordements physiques, leur mouvement. Ne les laisse pas recommencer.
Méfie-toi aussi des manipulations des flics qui se glissent, comme les gauchos, dans vos rangs, pour te faire tomber dans la violence et la provocation.
Méfie-toi du Crédit Agricole. Le Crédit à Bricoles, on devrait plutôt l’appeler. Mes parents et la plupart des exploitants étaient méfiants face à ces croqueurs de terres et de fermes. Qui s’appropriaient pour trois francs six sous les biens des paysans qui n’arrivaient à rembourser leurs prêts. Les paysans spoliés n’avaient plus qu’à quitter leur ferme et aller s’engager à l’usine, en entassant leur famille dans un HLM. « Ils sont tout gentil sourire, mais vaut mieux pas leur devoir de l’argent », c’est ça que j’entendais. D’ailleurs on n’était pas du genre à s’endetter dans la famille, on en avait trop vu – non pas se gâter la main aux alcools, Monsieur Fernand – mais plutôt sombrer dans la spirale infernale du remboursement impossible des prêts, accordés grâce à de fumeuses illusions de rendements futurs, promis comme porteurs de recettes pléthoriques. Grâce aux engrais chimiques, à la mécanisation systématique, à la course à l’hectare de plus. Chimères. Rêves. Cauchemars. Retour atroce au réel.
Méfie-toi des politiques qui sont au gouvernement actuellement. Les deux tiers des ministres – pour combien peu de temps ? – de ce jour sont « franciliens ». Effectivement, ça ne veut rien dire, ou plutôt si, ça signifie qu’ils ne sont de nulle part. Je te traduis : ils sont parisiens ou banlieusards. Ce sont eux pourtant qui pérorent sur ta condition et scellent ton sort. C’est vrai qu’ils savent parler. Surtout pour ne rien dire. Dans cet exercice, le premier d’entre eux s’est montré, selon les médias, aussi brillant que mignon dans le Sud-Ouest lors de son baptême du foin. Mais toi, tu sais que ce n’est pas la poule qui caquette le plus qui pond le plus d’œufs.
Méfie-toi des politiques dans l’opposition. Ce sont les mêmes que les précédents. Ils se remplacent régulièrement au pouvoir, parfois même ils ont gouverné ensemble, en tout cas ils sont responsables d’avoir permis ou pas empêché toutes les causes de tes malheurs quotidiens. Depuis la dépossession de la France de sa politique agricole pour la transférer à Bruxelles, jusqu’à l’inflation des directives et décrets qui t’étouffent. Surtout les textes que tu ignores et que l’on vient te faire connaître, à coups d’amendes et de descentes de fonctionnaires armés, jusque dans ta cour de ferme.
Méfie-toi surtout des politiques parisiens. En agriculture, ils connaissent tout sur tout, surtout s’ils ne savent rien sur rien. L’agriculture, pour eux, c’est au mieux pour les plus savants d’entre eux ce qu’ils appellent le secteur primaire de l’économie. Notion abstraite. Le pays, le paysage, le paysan, ils ne connaissent pas. En revanche, la semaine dernière, pendant que tu passais nuit blanche sur nuit blanche sur une autoroute alors que ta ferme a tant besoin de tes soins, les politiques ont entériné un accord de libre-échange de plus, inéquitable et mortel pour toi.
Méfie-toi des politiques locaux. Tu pourrais espérer que, eux, à défaut d’être compétents et de détenir le moindre pouvoir pour améliorer ta situation, au moins ils te comprennent par proximité. C’est ce qu’ils te disent, au demeurant. Les maires, conseillers généraux ou députés te font les yeux doux depuis une semaine. Et ne cessent d’évoquer – ou de s’inventer – une ascendance rurale. Voire agricole pour les plus menteurs d’entre eux. Oui, mais ça c’est le samedi et le dimanche, au marché ou au café. Lundi, s’ils sont à Paris ou chez le préfet, ils redeviennent « responsables » et te trahissent de façon éhontée. La preuve : la semaine dernière, qu’est-ce qu’ils ont fait les députés ? Au moment où la France commence à peine à se rendre un petit peu compte de la maltraitance du monde paysan par les politiques depuis 50 ans, eh bien les députés ont pris une mesure d’urgence, tendance gouvernementale comme « oppositions » : ils se sont voté une augmentation ! Oh, bien modeste, 3% de leur frais, mais ce qui représente 30% de ton revenu moyen… En pleine révélation de la misère matérielle et morale des paysans, c’est révoltant. Tu as raison d’être révolté.
Méfie-toi des fonctionnaires. Français d’abord. Ton sort d’administré les apitoie autant, voire moins, que celui des Français ordinaires. Au niveau professionnel, l’application des textes leur suffit comme morale. Au niveau personnel, leur fin de mois est assurée, que tu crèves ou que tu survives tant bien que mal. Quant aux fonctionnaires européens, eux c’est encore plus simple : ils sont payés pour que tu crèves.
Méfie-toi des industriels de l’alimentaire. Ils spéculent doublement contre toi. D’une part leurs grosses sociétés, nationales et souvent multinationales s’enrichissent avec les opérations d’export et surtout d’import de productions agricoles et de produits alimentaires finis ou semi-finis. Grâce aux traités de libre-échange avec tous les pays du monde, dont aucun ne soumet ses agriculteurs aux normes drastiques qui te sont imposées en France. D’autre part, chaque fois qu’une exploitation familiale met la clef sous la porte, c’est un petit bout de concurrence qui cesse de les importuner.
Méfie-toi des centrales d’achat et des grandes surfaces. Quand, le cœur sur la main, leurs patrons – surtout s’ils sont chrétiens et de gauche – répètent à l’envi dans des micros qui leur sont généreusement tendus qu’ils veulent un prix juste pour les consommateurs et les producteurs, toi tu sais déjà que tu es le cocu et qu’en plus tu payes la chambre. Les négociations annuelles avec les représentants des producteurs, surtout si les ministres assurent qu’ils vont avoir un œil dessus, c’est un marché de dupes. Le « juste prix pour les producteurs » (le « fair trade » des hypocrites anglo-saxons) ça existe peut-être, faudrait voir. Mais seulement pour le cultivateur zoulou d’Afrique noire, le récoltant d’un improbable état d’Amérique latine ou encore l’éleveur du Zobistan oriental. Pas pour toi. Les Autres avant les Nôtres. Surtout avant toi.
Méfie-toi des escrologistes. Surtout s’ils se font appeler Europe – Escrologie – Les Verts, etc. Il y en a qui cumulent… Certes, quand on s’affuble soi-même de tares pareilles dès le nom, on ne peut pas dire qu’ils n’annoncent pas la couleur. Quoique… Oui, quoique, précisément à propos de couleur, tu connais l’adage : vert dehors, rouge dedans. Tu ne peux pas faire confiance à des gens du 11ème arrondissement qui ne connaissent des champs que le Champ-de-Mars. Et encore les soirs où la mère de Paris (Notre-Drame de Paris) illumine la Tour Eiffel des couleurs efféminées des pires perversions.
Méfie-toi des sirènes du bio. D’abord ça ne veut rien dire. Aucune définition scientifique ou économique qui tienne. Ensuite plus d’une dizaine de labels, appellations et référencements différents, avec chacun leurs normes, leurs logos et leurs dénominations. C’est la foire d’empoigne. Les prix supérieurs aux autres produits ne résisteront pas à la crise, notamment celle du pouvoir d’achat. Par ailleurs, tu passeras plus de temps – tes journées sont déjà très longues, or le temps c’est de l’argent – à remplir de la paperasse pour te faire accepter, agréer, autoriser, labelliser, qu’à produire et vendre. Au fait, dans les familles rurales – et surtout agricoles – qui sait ce qu’ont de vraiment de spécifique les produits « bio » dont parlent à la télé les bouffeurs de quinoa et les buveurs de tisanes « CBD » ? Et qui parmi les paysans aurait les moyens, et surtout l’idée folle, d’acheter « bio » ? Le bio, ça été la mode. « La mode, c’est ce qui se démode », selon la définition d’un poète.
Méfie-toi des faux amis. Tu vas en avoir plein en ce moment. Surtout dans les médias, du moins quand ça les arrange. Dans les partis politiques aussi. Mais attention : premier « dérapage » (comme ils disent, c’est-à-dire dès que tu vas dire ce que tu dois dire au lieu de ce qu’ils veulent t’entendre dire) tu seras privé de micro, voire honni. Souviens-toi de ce disait un autre poète :
« Ce sont amis que le vent emporte
Et il ventait devant ma porte ».
Paysan, mon compatriote, membre de ma famille, je te le redis. Dans ma langue limousine, en occitan que j’écris en phonétique, chacun comprendra, depuis le Sud en Provence jusqu’au Nord dans les Flandres. N’est-ce pas Régis ?(1). Je te le répète comme on me l’a seriné moult fois : Méfio tè ! Méfio tè, piti…
Marc-François de Rancon
Lire dans nos colonnes :
• Soutien total aux paysans du 24 janvier 2024
• Les paysans sont mal ou pas défendus du 28 janvier 2024
C’est un compte-rendu tellement juste et véridique qu’il devrait être affiché à chaque porte de mairie !!! Et distribué à chaque paysan !
Aux prochaines élections, on doit s’interroger sur la valeur, la fiabilité et connaître le travail réalisé par les députés représentant nos paysans pour bien voter en toute connaissance de cause !!!
Sympathiques, ces échanges dans nos langues locales. Cela sent bon la France ! J’ajoute un mot de provençal : « Gramassi, e tafort ! » (Grand merci, et courage !)
Je diffuse, mais le paysan est un tel individualiste… Dans ce texte, je vois un opprobre sur la seule option réelle : une personne, hors médias de grand chemin, mais avec une crédibilité connue, avec un projet politique crédible. Pendant toute l’histoire de France, les modifications profondes se sont installées ainsi…
J’ajoute, plus particulièrement à l’attention des internautes qui m’ont fait remarquer que mon constat serait pessimiste et pourrait laisser croire aux paysans qu’il n’existe guère de pistes de solutions :
– d’une part, en réalité, la situation est pire que celle que je n’ai fait qu’esquisser,
– d’autre part il ne faut pas sombrer dans la désespérance car les solutions existent.
La situation est pire : je me suis retenu, pour ne pas alourdir et démoraliser, d’écrire que le paysan doit aussi se méfier de la MSA, des Chambres d’agriculure, des SAFER, etc. et toutes autres associations de copains et coquins. Pour plein de raisons.
Toutefois les solutions existent, ne pas désespérer : elles sont entre les mains des paysans qui ont le courage de manifester en ce moment. Sous réserve qu’il fassent attention à ne pas se laisser diviser par le pouvoir en place, dont c’est la seule chance pour continuer de régner un peu. La France était, depuis des siècles et notamment le Grand Siècle, le grenier de l’Europe, plus qu’auto-suffisante, grâce à une production agricole diversifiée et une population paysanne qui constituait l’armature morale et matérielle de la nation. Elle peut le redevenir, à condition de briser la dictature du libre-échange injuste et inégal et à condition de casser le carcan bureaucratique bruxellois (ou du moins d’en sortir). Pas en acceptant, pour rentrer à la ferme, quelques mesurettes qui déstabiliseront encore plus le budget national, creuseront encore plus la dette, accélèreront l’inflation des impôts et taxes et, in fine, conduiront encore plus vite la France à la dépendance et à la ruine. Et ses paysans à la disparition totale.
Marc-François de Rancon
Oui, il faudrait aussi parler de la MSA, Chambres d’Agriculture et SAFER, mais aussi des coopératives qui sont souvent des machines à asservir l’agriculteur et capter ses biens fonciers sans le diire.
On le voit bien quand Darmanin a sifflé la fin de la récré, chacun va rentrer s’occuper de ses bêtes et de sa terre et en croisant les saisies d’identité et les bases de données de la sécurité intérieure, on peut arrêter tous ceux qui sont trop activistes et libérer les « gentils ». L’État (de droite à gauche) dispose seul de la violence légitime. La plèbe ne dispose que du droit de vote mais cela ne met au Pouvoir que des politiques interchangeables et qui appliquent les directives européennes qui sont l’expression des tenants de la vie économique : banques, marchés, grandes entreprises. L’agriculteur doit travailler pour survivre et l’indignant doit acheter du pas cher pour survivre. La classe sociale des agriculteurs est appelée à disparaitre pour se transformer en ouvrier non propriétaires de leurs terres (actuellement ils sont déjà des ouvriers) et les terres appartiendront aux grands capitaux. C’est un choix civilisationnel comme la grande distribution a salarisé les petits commerçants et la grande industrie a salarié les petits artisans. La mécanique de dépossession est parfaitement rodée (endettement et prise de pouvoir par les Coop.). Le marionnettiste est un expert.
Comme tout cela est juste et plein de bon sens.
Merci.
François
Bravo Marc-François !
Je cosigne !
Leve de boeren van Frans-Vlaanderen tot Provencia…en verder !
Vive les paysans, de Flandre française jusqu’à la Provence… et plus loin !
Régis