
Chemin de Compostelle : un retour actuel d’expérience spirituelle
Nous complétons ci-dessous l’article publié le 24 mai 2024, intitulé Compostelle, un pèlerinage pour notre temps, Retour d’expérience.
Cette expérience est si riche que son auteur, Jean-Michel Lavoizard, y revient ci-dessous avec le désir de la partager plus encore.
Nous avions montré dans cette tribune(1) que le Chemin de Saint Jacques de Compostelle est une planche de salut personnel et une œuvre d’intérêt général.
Métaphore de la vie en raccourci, ce pèlerinage chrétien, accompli récemment comme un acte et un témoignage de foi en douze semaines et mille sept cents kilomètres de marche, est une ressource bénéfique pour notre époque déboussolée car déracinée et déspiritualisée, amnésique et aveuglée par de faux progrès. Longtemps délaissé sous l’effet d’une révolution sanguinaire et d’une déchristianisation acharnée, le Camino connait un regain de fréquentation par impulsion touristique, avec des marcheurs de tous horizons, conditions et motivations.
Au-delà des Pyrénées, dans le prolongement espagnol de la Via Podiensis du Puy en Velay à Saint Jean-Pied de Port, le Camino Frances suit la course du soleil jusqu’à Santiago à travers la Navarre, le Rioja, la Castille et la Galice (notre illustration à la une).
Puis il rejoint Fisterra (« Fin de la terre »), sur la côte atlantique où l’apôtre Jacques le Majeur a débarqué pour évangéliser les adorateurs païens du culte solaire. De la découverte fortuite de sa relique au IXe s., sous la pression des invasions musulmanes, date la tradition de ce pèlerinage, que Saint François d’Assise a effectué quatre siècles plus tard. C’est ainsi que des confins de l’Europe et de la Scandinavie, convergent ici les principales voies jalonnées de calvaires, chapelles, abbayes, églises, cathédrales.
Le Camino Frances est chargé d’une saisissante densité architecturale historique et religieuse, alliée à un intense rayonnement énergétique. Le long des lignes isodynamiques vecteurs de champs magnétiques du 42e parallèle, il suit la Voie lactée du soleil levant au couchant, symboliquement de la naissance à la mort, préalable à une renaissance. C’est pourquoi, en signe de rédemption, les pèlerins déposent une pierre au pied de la Cruz de Hierro, grande croix métallique installée au sommet des Monts de León, à la jonction de deux courants telluriques. Auteur d’un ouvrage(2) fouillé, Angel, architecte espagnol rencontré à Navarrete, consacre sa vie à des recherches sur le sujet et sa maison familiale à l’accueil des pèlerins, selon la tradition d’hospitalité chrétienne du donativo, don solidaire.
Sentier impollué de grande randonnée entretenu par les associations locales des Amis de Compostelle, le Chemin se déroule à l’écart du bruit mécanique et médiatique. Il attire et s’étire dans des paysages variés, habités par des populations fières de leur identité et de leur patrimoine. Chacun est invité à entreprendre cette longue marche seul ou accompagné, à son rythme, selon ses capacités et son choix d’organisation, y compris d’hébergement alterné dans des communautés religieuses, des gites, des abris de fortune ou sous le Champ des étoiles (Campo Stella). « À chacun son chemin » dit le dicton, selon ses raisons profondes qui conditionneront cette expérience unique.
Véritable bain de jouvence, l’esprit y est progressivement désencombré des pensées parasites, soucis futiles, distractions stériles. La traversée des villes artificielles fait d’autant mieux apprécier les mélodies et les harmonies naturelles.
Le temps long du « Camino », trait caractéristique rare à notre époque pressée et fascinée par le virtuel en mode différé, invite à une immersion profonde et prolongée dans un environnement indissociable de nature préservée, de culture conservée et de culte perpétué. Au fil de cette longue pérégrination opère un processus lent et imperceptible de maturation qui transforme le marcheur en pèlerin. Au temps présent, ici et maintenant. La vie itinérante, son mode de vie saine, harmonieuse et simple, est accordée à notre nature humaine dont toutes les dimensions sont rééquilibrées (à l’image du sac que l’on porte et de la nourriture fortifiante), réunifiées, réconciliées. Qu’au départ on sache clairement ou confusément ce qu’on cherche, vocation, inspiration, intentions, on le trouve quand tombe le masque du théâtre social, vis-à-vis de soi et d’autrui, face à La Présence divine. Dans ce contexte, un regard doux, un ton chaleureux, une attitude amicale, suffisent à abaisser les barrières culturelles et linguistiques. Les rencontres y sont riches d’échanges spontanés. Partageant les mêmes efforts et réconforts, portant souvent de lourdes causes, munis du même carnet qui fait foi du parcours réalisé (credential), on ne triche pas.
Expérience riche de sens (direction, signification, sensation), le Chemin atteint sa plénitude dans la tradition chrétienne de méditation, de contemplation et de prière ; trois postures dont le dosage à somme toujours positive peut varier selon les circonstances et l’état du marcheur, remplit bien la journée ! Le cheminement intérieur, vertical, passe par le physique, horizontal. « Ultreïa, Suseïa ! », « Allons plus loin, plus haut ! », s’encouragent les pèlerins pour se dépasser. Comme ailleurs, le christianisme y a fécondé, sans les effacer, des civilisations antiques ibères, celtiques, druidiques, romaines, dont les traces restent visibles, valorisées et vivantes. Car représenter, c’est rendre présent, continument.
Dans son Exhortation apostolique Evangelii Gaudium(3) (« La Joie de l’Évangile », 2013), le Pape François décrit « quatre principes reliés à des tensions bipolaires propres à toute réalité sociale ». Ces principes s’appliquent au Chemin de Compostelle, qui n’est pas hors du temps mais de tous les Temps, en particulier du nôtre, qui ferait bien de s’en inspirer :
Le temps est supérieur à l’espace.
L’unité prévaut sur le conflit.
La réalité est plus importante que l’idée.
Le tout est supérieur à la partie.
Si la technocratique Union européenne, qui a renié les racines chrétiennes de l’Europe contre la volonté des peuples (cf. referendum de 2005) n’y reconnait qu’un patrimoine culturel, le Chemin de Compostelle est en réalité un Bien commun de l’Humanité d’une nature avant tout et par-dessus tout, spirituelle. Héritiers d’une civilisation prodigieusement fertile, il nous revient de le vivre, de le protéger et si besoin de le défendre face aux assauts anti-chrétiens. Car la tradition implique la transmission. « L’arbre ne se lève qu’en enfonçant ses racines dans la terre nourricière », nous dit Saint Jean-Paul II.
Voir : Compostelle, un pèlerinage pour notre temps, Retour d’expérience, par Jean-Michel Lavoizard, du 24 mai 2024
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