Pour Laurent Ozon, l’IA s’inscrit dans la philosophie des Lumières

par | 13 octobre 2024 | Aucun com­men­taire

La bonne cen­taine de per­sonnes qui ont fait le dépla­ce­ment ce same­di pour assis­ter à la confé­rence de Laurent Ozon(1), s’en féli­citent. Nous pen­sons à celles qui n’ont pas pu venir et leur pro­po­sons ci-des­sous une brève trans­crip­tion avant la mise en ligne pro­mise par l’or­ga­ni­sa­teur, Culture Populaire.
Gilles Lartigot est venu en ami et voisin.

Laurent Ozon com­mence son inter­ven­tion par deux ques­tions fon­da­men­tales :
• L’Intelligence Artificielle est-elle pos­sible ?
• L’Intelligence Artificielle est-elle souhaitable ?

L’IA est-elle possible ?

Il n’y a pas si long­temps, on se posait la ques­tion de savoir si l’or­di­na­teur pour­rait battre un jour un joueur d’é­checs. Autrement dit : l’or­di­na­teur sera-t-il un jour intel­li­gent ? Force est de consta­ter aujourd’­hui que oui.
Qu’est-ce qui a ren­du l’Intelligence Artificielle tech­ni­que­ment pos­sible ?
Pour Laurent Ozon, c’est la conjonc­tion :
• de l’aug­men­ta­tion des capa­ci­tés de sto­ckage des ordi­na­teurs,
• de la géné­ra­li­sa­tion de la numé­ri­sa­tion(2) de qua­si­ment toute forme d’in­for­ma­tion : image, son, écri­ture, etc.
• de la mise en œuvre de puis­sants algo­rithmes appli­qués à la com­pré­hen­sion et la modé­li­sa­tion des phé­no­mènes d’au­to-orga­ni­sa­tion dans le domaine de l’hu­main.
Si elle est intel­li­gente, l’IA n’en est pas vivante pour autant car elle ne répond pas à ce qui défi­nit le vivant : apti­tudes homéo­sta­tiques, éner­gé­tiques et reproductives.

L’IA est-elle souhaitable ?

Et puis sou­hai­table pour qui ? Réponse : pour les tenants de l’i­déo­lo­gie les Lumières.
Pour les Lumières, les anciennes cultures, dites tra­di­tion­nelles, sont obso­lètes et impro­duc­tives. Il convient donc d’in­tro­duire la ratio­na­li­sa­tion — la Raison — dans le fonc­tion­ne­ment des socié­tés.
Les Lumières n’ont pas com­pris les réti­cences popu­laires à l’en­contre de la Raison qui doit régir l’hu­ma­ni­té pour son plus grand bon­heur. Elles sont per­sua­dés d’«avoir rai­son ». Autrement dit, le logi­ciel (soft­ware) est bon. Si le Peuple n’en veut pas, c’est que le Peuple (hard­ware) a tort et il faut donc le chan­ger ou en chan­ger(3). Les Lumières décident alors :
• de réédu­quer le Peuple dans des camps de réédu­ca­tion pour les adultes et à l’é­cole pour les enfants,
• de le chan­ger grâce à une immi­gra­tion de repeu­ple­ment, ou bien
• de l’é­li­mi­ner ; c’est ain­si que naît le géno­cide ven­déen, puis tous tous les géno­cides du XXe siècle.

Laurent Ozon - Intelligence artificielle - 12 octobre 2024 - BouquinL’IA s’ins­crit par­fai­te­ment dans ce remo­de­lage des cultures enra­ci­nées. L’IA est un nou­vel ava­tar de l’i­déo­lo­gie des Lumières. Elle se déve­lop­pe­ra là où les cultures sont affai­blies. C’est bien un outil de contrôle des Pouvoirs éta­blis car il est des­ti­née à orga­ni­ser la vie des êtres sans culture. Notre socié­té dys­fonc­tion­nelle se nour­rit de ses propres dys­fonc­tion­ne­ments. L’IA tombe à point nom­mé. C’est un outil des­ti­né à faire vivre ensemble des enti­tés dysfonctionnelles.

Laurent Ozon note bien que l’IA fonc­tionne de pair avec le transhumanisme.

L’IA est pré­sen­tée comme un outil per­met­tant d’opti­mi­ser les res­sources dans tous les domaines, tout comme le trans­hu­ma­nisme. Et puis c’est tant mieux si l’on peut se pas­ser des humains ! L’IA, c’est la dés­hom­mi­ni­sa­tion. D’innombrables sec­teurs éco­no­miques doivent s’ap­prê­ter à des bou­le­ver­se­ments pro­fonds, notam­ment le sec­teur ter­tiaire : avo­cats, acteurs, pilotes d’a­vions, métiers de la méde­cine, etc. Le déploie­ment de l’IA s’an­nonce géno­ci­daire et pour­rait entraî­ner la dis­pa­ri­tion de 85 mil­lions d’emplois. Que fera-t-on de ces lais­sés-pour-compte, prin­ci­pa­le­ment des cols blancs ? Laurent Ozon s’in­ter­roge tou­te­fois pour­quoi, avec toutes les don­nées dont nous dis­po­sons, l’IA n’est pas sol­li­ci­tée ouver­te­ment pour pro­po­ser des solu­tions au finan­ce­ment des retraites ! Laurent Ozon s’in­ter­roge aus­si pour­quoi un véri­table débat sur la mise en place de l’IA n’est pas organisé.

Laurent Ozon - Intelligence artificielle - 12 octobre 2024 - Salle

Là où les cultures sont fortes et enra­ci­nées, nul besoin de régle­men­ta­tion ou de lois, a for­tio­ri d’ou­tils tech­niques sophis­ti­qués. La culture de proxi­mi­té joue le rôle de ciment social. Il nous appar­tient de savoir quelle socié­té nous vou­lons, ou quelle socié­té nous ne vou­lons pas.

Faut-il alors rejeter l’IA ?

Pour répondre à cette ques­tion, Laurent Ozon s’ap­puie sur deux faits his­to­riques qui repré­sentent à ses yeux un bas­cu­le­ment majeur de l’Histoire récente et sont à même de nous éclai­rer sur le déploie­ment de l’IA :
• 1853 : les canon­nières amé­ri­caines, titans de métal, sub­juguent le Japon et le contraignent à s’ou­vrir au com­merce mondial.

Japon 1853 - Canonnières américaines

• Années 1920 – 1945 : libé­ra­tion de l’Inde par le rouet, lan­cée par Gandhi.

Gandhi Inde rouet résistance

• Dans le pre­mier cas, au Japon, le sys­tème mar­chand et méca­niste occi­den­tal s’est impo­sé, par canon­nières inter­po­sées. Le Japon est sor­ti de son iso­la­tion­nisme pour ensuite se trans­for­mer en puis­sance colo­niale et entrer en guerre avec tous ses voi­sins. Le fas­cisme n’est pas né en Europe au XXe siècle, mais au Japon en 1853.
• Dans le deuxième cas, l’Inde de Gandhi a reje­té l’au­to­ma­ti­sa­tion du tis­sage. Ce même sys­tème mar­chand et méca­niste a recu­lé face à une culture tra­di­tion­nelle enra­ci­née. Le com­bat de Gandhi est un exemple dans le type de résis­tance à mettre en œuvre.

Et par suite, aujourd’­hui, ce sys­tème mar­chand et méca­niste, omni­po­tent, par­vien­dra-t-il à nous impo­ser « son » Intelligence Artificielle ? L’injonction à se sou­mettre à l’IA est ana­logue à celle qu’ont affron­tée le Japon et l’Inde. l’Histoire nous enseigne que des choix sont possibles.

Laurent Ozon nous invite à ne pas nous oppo­ser fron­ta­le­ment à l’IA. Un com­bat fron­tal est per­du d’a­vance. Il n’est pas néces­saire de bâtir une puis­sance pour lut­ter contre la puis­sance. Il faut donc sus­ci­ter des contre-pou­voirs nou­veaux, ins­pi­rés de la Nature. Il faut mettre en place une « sym­biose coopé­ra­tive » avec la Nature.
Il y a des réponses à appor­ter qui ne s’ins­crivent pas dans la phi­lo­so­phie des Lumières qui a remis en cause les cultures tra­di­tion­nelles et a pro­mu la science et la tech­nique.
Toute solu­tion indi­vi­duelle est per­due d’a­vance. Il faut faire du col­lec­tif. Il faut abso­lu­ment évi­ter la concen­tra­tion des Pouvoirs vers l’IA.

Serions nous débiles ? Pour nous « aug­men­ter », faut-il aupa­ra­vant nous dimi­nuer, comme cela se passe en ce moment ?
Il nous appar­tient d’in­ven­ter de nou­velles formes d’in­tel­li­gences capables de jugu­ler l’IA telle qu’elle nous est pro­po­sée. Il faut donc agir col­lec­ti­ve­ment pour mettre fin à l’af­fais­se­ment de l’in­tel­li­gence collective.

Laurent Ozon est opti­miste. Il est convain­cu que de nou­velles syn­thèses reli­gieuses se des­sinent. Il est et demeure dans l’ac­tion. À la fuite ou à la confron­ta­tion, il recom­mande de « colo­ni­ser l’es­pace ».

En marge de la conférence :

Gilles Lartigot - Dédicace Eat2

Séance de dédi­cace de ses livres Eat et Eat2 pour Gilles Lartigot

Laurent Ozon - Intelligence artificielle - 12 octobre 2024 - Livres

Laurent Ozon - 12 octobre 2024

Notre rédac­teur en chef s’en­tre­tient avec Laurent Ozon

On dit aus­si… « déma­té­ria­li­sa­tion ».

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Bertold Brecht écri­ra : « Puisque le peuple vote contre le gou­ver­ne­ment, il faut dis­soudre le peuple ».

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