Ce premier tour des élections régionales a révélé la plus vigoureuse des vagues Bleu Marine connues jusqu’à présent au niveau national. La Provence — malheureusement mais on espère provisoirement affublée du l’acronyme PACA — a amplifié le mouvement. Le Var en tête, décidément terre d’enracinement par excellence pour le Front national.
Quarante-six départements de France ont mis le Front National à la première place hier soir. Soit trois de plus que lors des départementales de mars dernier. Parmi eux le Var mérite une attention particulière. Notamment sa capitale, Toulon, qui jusqu’à présent ne s’était pas bien remise du procès permanent qu’elle subissait depuis la mandature FN 1995–2001.
Une poussée globale pour le Front National
Un Front National à 40,55 % en PACA, alors que Les Républicains plafonnent à 26,48 %, et que la gauche disparaît lentement mais sûrement du paysage politique – les listes Castaner et Camard respectivement à 16,59 % et 6,54 % – c’est déjà une spécificité méridionale. Mais dans le département, la tendance est encore plus poussée. Marion Maréchal Le Pen domine avec 44,57 % des voix, Estrosi suit essoufflé avec 27,58 %, Castaner et Camard sont à la ramasse avec 13,53 et 4,70 %.
Toutes les communes tirent dans le même sens. Fait qui différencie le Var d’autres régions de France, les villes aussi. On a dépassé la classification tant aimée des politologues, qui distinguent la France rurale et rurbaine, dite périphérique, d’avec la France urbaine plus cultivée et ouverte, donc moins perméable au « populisme ». Cette séparation sociologique, qui se voudrait clé d’explication des comportements électoraux, se montre inopérante pour comprendre le 6 décembre dans notre département.
Les villes sont dans le même mouvement
Brignoles, par exemple, qui avait donné lors d’une élection partielle son seul conseiller général au Front National, avant de sagement se ranger sous l’étiquette UMP lors des municipales de 2014, a accordé près d’un suffrage sur deux au FN. La Seyne-sur-mer, seule grande ville du Var gérée par la gauche, l’unique tache rouge-rose de l’agglomération TPM (Toulon-Provence-Méditerranée), l’ancien bastion ouvrier à la pointe toutes les luttes syndicales, a voté à 43,1 % pour Marion. Soit exactement 25 points de plus que la liste de gauche ! Qui elle-même ne pointe qu’à la 3e place… Draguignan, longtemps bastion socialiste, répète le même scénario avec 47,14 % pour le FN. Fréjus dépasse les 50 %, l’équation personnelle de David Rachline venant renforcer le sentiment généralisé de satisfaction des habitants des communes gagnées par le Front National en 2014 à l’égard de la nouvelle gestion. Suprême humiliation pour la gauche, elle reste en-dessous de la barre des 10 % à Saint-Raphaël, quand la liste La France Plein Sud y dépasse les 43 %.
Le retour fracassant de Toulon
Mais le plus surprenant, et en même temps le plus symbolique, des résultats du 6 décembre 2015 dans le Var, c’est de Toulon qu’il vient. La plus grande ville du département, au centre de l’agglomération la plus peuplée, qui forme l’ossature d’une véritable métropole, a produit hier un mouvement d’une amplitude que peu d’observateurs ont décelée ou mesurée. En une soirée, c’est une quinzaine d’années qui est presque effacée. Et la donne d’il y a 20 ans qui est reconstituée, en plus accentuée. Toulon, c’était la seule ville de plus de 100 000 habitants gagnée par le Front National en 1995. Après un acharnement concerté et convergent pour empêcher et incapaciter l’équipe en place, suivi d’une fin de mandat chaotique pour des raisons souvent internes, la ville a été reprise par Hubert Falco, l’un des dauphins de la période troublée Arreckx-Trucy des années 70 à 90. Depuis lors, Toulon courbait la tête en signe de repentance. Les Toulonnais finissant par croire ce qu’on leur matraque encore régulièrement, c’est-à-dire qu’ils sont les habitants d’une cité accablée du devoir de mémoire des années les plus sombres de son histoire, sauvée miraculeusement par le retour de la vraie lumière et les vertus de la bonne gestion. D’ailleurs le FN, balayé en 2001, avait opéré une timide rentrée dans la mandature 2008–2014. Et s’est incliné en mars 2014 dans un rapport de 60 à 20 dès le premier tour. Alors qu’au même moment trois des onze municipalités, gagnées par le FN au plan national, l’étaient dans le département du Var. Toulon, le chef-lieu, paraissait d’une certaine manière « hors-sol » dans son propre département. Certains pensaient qu’une sorte de syndrome d’Oradour empêcherait définitivement toute renaissance électorale du Front National dans la préfecture du département. Double erreur : non seulement Toulon s’est donnée franchement à Marion, avec 38,55 % contre 32,38 % à Estrosi, malgré Falco, malgré Var-Matin, malgré l’Union Patronale locale, malgré le directeur du théâtre Liberté subventionné, mais encore c’est à Toulon que le FN a réalisé son meilleur score de la région dans les villes de plus de 100 000 habitants. Devant Marseille, Avignon, Nice et Aix-en-Provence. Le parti Bleu Marine a signé là un rendez-vous électoral qui, s’il sait le gérer, emportera beaucoup de conséquences à l’avenir. À Toulon et dans tout le Var. Voire la région, tant emblématique est le nom de cette ville. Pour certains qui ont joué sur la facilité et l’émotion plus que sur les faits et l’explication, c’est peut-être l’histoire de l’arroseur-arrosé qui commence.
La gauche entre abois et abonnés absents, la droite sonnée et coincée
Le pas de clerc de Castaner, qui d’abord laisse entendre son maintien, puis « appelle à la résistance » alors que lui-même se retire, laissant en rase campagne son équipe, ses militants et ses électeurs, est aussi inconsistant que sa campagne. Pendant laquelle il n’a même pas gagné la notoriété qui lui faisait défaut lors de son investiture. Du reste à Marseille, à Toulon et ailleurs, ça ne passe pas dans le peuple de gauche, cette désertion sur simple appel téléphonique de Cambadélis. Des responsables locaux de gauche ont fait connaître leur stupéfaction ou carrément leur honte. Dans le Var, en particulier à Toulon où la ligne gouvernementale et parisienne ne faisait déjà pas l’unanimité chez les socialistes, on imagine l’ambiance. Et surtout l’enthousiasme pour aller déposer un bulletin Estrosi dimanche prochain. Sans parler des Alpes-Maritimes…
Mais la droite, au sens large et souvent usurpé du terme, n’est guère mieux lotie. Philippe Vitel, qui aime bien surfer d’habitude sur des thèmes droitiers car en fin politique il connaît la sociologie de ses électeurs, en est réduit à « attendre un sursaut de tous ceux qui partagent nos valeurs républicaines et humanistes ». Pas sûr que ça suffise à rallier socialistes, écologistes et front-de-gauchistes sur son nom dans le Var, et celui d’Estrosi dans la région. Pas certain que ça rassure les éléments les plus droitistes de son électorat. Le grand écart, paradoxalement, ça mène souvent à la porte étroite. Et puis toutes ces affaires à répétition — voir notre article du 11 novembre sur la politique dans le Var, une fatalité judiciaire ? — qui empoisonnent la vie politique varoise et affectent principalement ceux de son camp, favorisent objectivement ceux qui se présentent sans passé et sans passif.
François LEBOURG