Paris est une Pride
Il m’aura fallu attendre mes trente ans et un week-end parisien en visite chez Éléments, cœur historique de la Nouvelle Droite, pour participer samedi 24 juin à ma première « Marche des fiertés ». Direction Place de la Nation, où une immense statue de Marianne nous attend, flanquée de toute part de drapeaux arc-en-ciel, surveillant avec bienveillance, dans une odeur de crème solaire, les divagations militantes de ses enfants chéris : Le Triomphe de la République.
Pour être franc avec vous, de la Gay Pride, jusque-là, mon expertise reste relativement limitée… En marchant vers elle, bien sûr, j’ai quelques réminiscences qui me reviennent, souvenirs inavouables et vaguement dissous dans le brouillard d’un sketch hilarant de Dieudonné, de pages non moins mémorables de Philippe Muray. Je m’attends à trouver là, sous mes yeux, à chaque coin de rue, une fanfare véritablement folklorique, d’immenses chars remplis de folles et une multitude d’hommes rôdant de toute part, douteusement vêtus de cuir et jouant volontiers les petits chiens soumis, toujours parfaitement tenus en laisse mais jamais avares d’une petite gâterie en public.
Arrivé sur place, pourtant, il me faut rapidement déchanter en considérant le réel qui m’entoure, ce réel auquel nous nous sommes si banalement habitués. Mis à part quelques rares spécimens à l’excentricité ostentatoire, c’est tout juste les mêmes petits-bourgeois anodins que j’aperçois autour de moi, ces touristes universels et autres éternels étudiants pour toujours en Erasmus qui arpentent les trottoirs de toutes les capitales du monde occidental, de Lisbonne à Tel-Aviv, ici simplement agglutinés en masse, avec leurs cheveux multicolores, leurs torses épilés et leurs lunettes de soleil, leurs tenues improbables et les innombrables tatouages et piercings qui leur recouvrent hasardeusement le corps. Un concentré, en somme, de cet habituel mauvais goût ravageur que chacun d’entre eux se plait à charrier avec lui tous les jours de l’année.
Au beau milieu des badauds invertis, baskets aux pieds et petit polo noir comme il faut, casquette LGBT correctement vissée sur la tête et petites lunettes rondes sur le nez, un jeune vendeur à la sauvette d’origine maghrébine trimballe devant lui son chariot d’accessoires. Casquette a quinze euros et drapeaux arc-en-ciel à profusion, cinq euros le petit et dix euros (ne pas prononcer la liaison pour entendre la voix de notre vénérable commerçant) le grand. Fasciné par l’agilité marchande de ce personnage improbable, je m’approche irrésistiblement de lui :
« Ça va, tout se passe bien ?
– Hamdoullah mon frère ! »
Grâce à Dieu, les affaires roulent plutôt bien pour lui. Et la banane qui ceint ses hanches grassouillettes s’emplit de doux billets colorés à chaque minute qui passe. Le couscous de ce soir s’annonce déjà bien garni ! Il ne faudra pour autant pas oublier ses cinq prières en rentrant ce soir à la maison, histoire de gagner son lit convenablement et s’endormir du bon sommeil du juste.
Je finis tout de même par tomber sur un être intrigant, à l’allure androgyne et hybride, sorte de centaure post-moderne tout droit sorti d’un manga, mi-elfe mi-cheval, sa tête finement maquillée n’étant séparée de grosses jambes bien poilus et dotées de talons aiguilles que par une fine robe bleue à paillettes. À l’aise comme un moine franciscain dans un club échangiste newyorkais, je parviens malgré tout à entrer en contact avec lui, armé de mon plus grand sourire, pour l’entendre longuement déplorer l’absence de char cette année pour motifs écologiques… Alors que je commence à m’apitoyer insensiblement sur son sort, dans un élan de compassion dalaï-lamesque imprévu, ma petite reine des neiges toute velue retrouve son sourire, me rassure et me dit que la fête reste malgré tout tellement belle. Moi-même je me dois de « kiffer » ma première Pride.
Revigoré par ce moment de communion inouï, c’est le cœur chargé d’humanité que je remonte des flots de manifestantes toujours plus jeunes. Alors que je commence à me perdre dans un marécage de jeunes filles d’une quinzaine d’années tout au plus, je finis providentiellement par tomber sur Laurie, 24 ans, militante « queer » de son état. Passablement enivrée, elle me fait part à son tour de tous ses états d’âme. Selon elle, la Pride se serait trop tiktokisée cette année et les jeunes générations blanches et wokisées délaisseraient par trop les racisés. J’allais justement le dire.
Eh oui, inévitablement, les années passent et la Pride s’embourgeoise et se cégétise. De Nation à République, la communauté LGBTQIA+ peine à retrouver les joies enivrantes de la marginalisation primordiale. Et même à grand renfort de pancartes toutes plus burlesquement lubriques les unes que les autres (« Vive la pêche aux moules ! »), dix ans après la promulgation du mariage pour tous, nos pauvres militants échouent piteusement à subvertir davantage les consciences… Il faut hélas reconnaître que dans ce bas monde, mis à part pour notre bon vieux vendeur multi-casquettes, il ne nous est que trop rarement donné d’obtenir à la fois le beurre et son fameux argent. Alors, pour se redonner un peu de contenance, et retrouver un embryon de joie, la foule scande à l’unisson toute sa haine de l’« extrême droite » ; et dans une grande injustice, leurs slogans malheureux viennent heurter de plein fouet le Rassemblement National, parti pourtant le plus ouvertement lopettophile de France.
Le soir même d’ailleurs, c’est Frédéric Falcon, député RN de la Narbonnaise, qui nous gratifiera, dans une langue que l’on qualifiera pour le moins de douteuse, d’un tweet magistral aussi énorme que renversant :
🏳️🌈Première #MarcheDesFiertés sans char et sans musique pour « sauver la planète » et du bruit les bobos parisiens aigris.
— Frederic Falcon Ⓜ️ (@FalconFrederic) June 24, 2023
Qu’il est loin l’esprit festif tout devient grave et culpabilité.
Les fascistes vertes @Anne_Hidalgo @sandrousseau vous préparent un monde sinistre#Pride2023
Avec une Pride ainsi menacée par la gauche écolo (et qui sait peut-être un jour par l’immigration musulmane ?), vivement que le RN arrive rapidement au Pouvoir pour garantir les valeurs festives de la République et redonner à Paris toutes les couleurs et le vacarme qu’il convient à sa gayeté. Pourtant, sur la forme comme sur le fond, l’extrême-gauche, l’extrême-centre et l’extrême-droite font la Pride à l’unisson.
Je ressors de là deux heures plus tard, complètement essoré, accablé par la chaleur environnante et subitement assoiffé. Je m’arrête au Carrefour Market le plus proche et m’empare de la première bouteille bien fraîche qui s’offre à moi. Je tombe sur quoi ? Une canette de Coca !
Tom Benejam
27 juin 2023
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