Ukraine : les arguments de Poutine sont-ils recevables ?
Pour expliquer les motivations de la Russie, Vladimir Poutine, a jugé nécessaire de revenir sur l’histoire commune des deux pays. « L’Ukraine n’est pas qu’un pays voisin, c’est une partie intégrante de notre culture et de l’histoire de notre pays », a‑t-il déclaré en préambule. Puis, tout au long de son allocution, il a enchaîné les affirmations qui ont fait tiquer bon nombre d’observateurs. Toutefois, si on peut y relever un certain nombre d’approximations et/ou exagérations, l’essentiel reste factuel selon Gérard-François Dumont, professeur à la Sorbonne et auteur de Géopolitique de l’Europe (chez Puf) qui en a fait l’analyse.
Point par point, voici ses commentaires sur l’argumentaire du président russe pour justifier son intervention militaire eu Ukraine.
1. « L’Ukraine moderne a été créée de toutes pièces par la Russie, plus exactement par la Russie communiste, bolchevique »
Gérard-François Dumont : cette explication est correcte à ceci près qu’il parle de Russie et non d’URSS. L’Ukraine n’a pas de frontières naturelles et, donc, le territoire qu’elle occupe a souvent été convoité dans son histoire. À la fin des années 1910, Moscou qui contrôle militairement un certain nombre de territoires entreprend de les organiser : c’est la création des frontières actuelles de l’Ukraine. Plus tard, dans les années 50, Khrouchtchev donnera la Crimée à l’Ukraine.
2. « L’URSS a satisfait les ambitions nationalistes exagérées en accordant des cadeaux trop généreux à certaines de ses républiques »
Gérard-François Dumont : dire que l’URSS a favorisé les nationalismes est « exagéré ». Avant l’effondrement de l’Union soviétique, les républiques n’avaient pas d’autonomie, le régime était totalitaire. Quand, pour la première fois, elle ne parvint pas à empêcher un conflit entre deux nationalités, les Arméniens et les Azéris, elle s’est affaiblie et s’est effondrée.
3. « La Russie a fait preuve de “bonne volonté” dans les années 1990–2000. Elle a rempli tous ses engagements, a sorti ses unités militaires de l’Allemagne de l’Est et d’autres territoires »
Gérard-François Dumont : certes mais la Russie n’avait guère le choix.
4. « La Russie a aidé l’Ukraine après la dissolution de l’URSS. Putine estime le bénéfice de ces aides à 250 milliards de dollars »
Gérard-François Dumont : c’est exact, notamment en vendant du gaz très peu cher par rapport à ses autres clients.
5. « L’Ukraine a “volé” du gaz à la Russie »
Gérard-François Dumont : il conviendrait de parler de spéculation plutôt que de vol. En fait, des oligarques ukrainiens achetaient du gaz russe très bon marché pour le revendre à l’Union européenne en faisant de substantiels bénéfices, ce qui a généré des tensions périodiques entre l’Ukraine et la Russie.
6. « Les habitants de Crimée ont choisi de se rattacher à la Russie en 2014 »
Gérard-François Dumont : oui mais ce référendum de rattachement de la Crimée à la Russie auquel fait allusion Poutine n’est pas reconnu par la communauté internationale.
7. « La révolution ukrainienne de 2014 a été financée à hauteur d’un million par jour par les États-Unis »
Gérard-François Dumont : les chiffres sont impossibles à vérifier mais que les services américains aient agi dans ce sens est un secret de polichinelle.
8. « L’économie de l’Ukraine est en ruine : près de 6 millions des Ukrainiens, soit 15 %, ont été obligés de partir à l’étranger pour chercher du travail et depuis 2014, le prix de l’eau a augmenté de 30 % ! »
Gérard-François Dumont : ces chiffres sont probablement proches de la réalité. Quant à l’exode, il est dû au niveau de vie très bas et à la forte corruption.
9. « En Ukraine, la langue russe est exclue de la sphère publique, des écoles et même des magasins »
Gérard-François Dumont : je confirme l’existence de cette loi qui s’applique même dans les territoires où 99 % de la population est russophone.
10. « Les États-Unis ne veulent pas d’un « grand pays indépendant comme la Russie au sein de l’Otan »
Gérard-François Dumont : ça semble une évidence.
Ajoutons à ça l’expansion injustifiée de l’OTAN qui a annexé tous les pays constituant la zone de sécurité demandée par la Russie (voir l’excellent article de Patrice Lemaître : Russie – Ukraine : oui mais… publié hier) et on comprend pourquoi Vladimir Poutine s’estime dans son bon droit. N’étant pas le genre d’homme à avaler des couleuvres indéfiniment, il a donc décidé de siffler la fin de la partie : « Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin, elle se casse ». Maintenant, jusqu’où va-t-il pousser son coup de gueule ? Toute la question est là.
Charles ANDRÉ
« L’important n’est pas de convaincre mais de donner à réfléchir. »
En savoir plus : Ukraine et Russie, un divorce toujours conflictuel, par Gérard-François DUMONT, le 4 juin 2017
Tout a fait d’accord et tres bon article sur l’Ukraine.
Merci