Ukraine : les arguments de Poutine sont-ils recevables ?

par | 26 février 2022 | 1 com­men­taire

Pour expli­quer les moti­va­tions de la Russie, Vladimir Poutine, a jugé néces­saire de reve­nir sur l’histoire com­mune des deux pays. « L’Ukraine n’est pas qu’un pays voi­sin, c’est une par­tie inté­grante de notre culture et de l’histoire de notre pays », a‑t-il décla­ré en pré­am­bule. Puis, tout au long de son allo­cu­tion, il a enchaî­né les affir­ma­tions qui ont fait tiquer bon nombre d’observateurs. Toutefois, si on peut y rele­ver un cer­tain nombre d’approximations et/​ou exa­gé­ra­tions, l’essentiel reste fac­tuel selon Gérard-François Dumont, pro­fes­seur à la Sorbonne et auteur de Géopolitique de l’Europe (chez Puf) qui en a fait l’analyse.

Point par point, voi­ci ses com­men­taires sur l’argumentaire du pré­sident russe pour jus­ti­fier son inter­ven­tion mili­taire eu Ukraine.

1. « L’Ukraine moderne a été créée de toutes pièces par la Russie, plus exac­te­ment par la Russie com­mu­niste, bol­che­vique »
Gérard-François Dumont : cette expli­ca­tion est cor­recte à ceci près qu’il parle de Russie et non d’URSS. L’Ukraine n’a pas de fron­tières natu­relles et, donc, le ter­ri­toire qu’elle occupe a sou­vent été convoi­té dans son his­toire. À la fin des années 1910, Moscou qui contrôle mili­tai­re­ment un cer­tain nombre de ter­ri­toires entre­prend de les orga­ni­ser : c’est la créa­tion des fron­tières actuelles de l’Ukraine. Plus tard, dans les années 50, Khrouchtchev don­ne­ra la Crimée à l’Ukraine.

2. « L’URSS a satis­fait les ambi­tions natio­na­listes exa­gé­rées en accor­dant des cadeaux trop géné­reux à cer­taines de ses répu­bliques »
Gérard-François Dumont : dire que l’URSS a favo­ri­sé les natio­na­lismes est « exa­gé­ré ». Avant l’effondrement de l’Union sovié­tique, les répu­bliques n’avaient pas d’autonomie, le régime était tota­li­taire. Quand, pour la pre­mière fois, elle ne par­vint pas à empê­cher un conflit entre deux natio­na­li­tés, les Arméniens et les Azéris, elle s’est affai­blie et s’est effondrée.

3. « La Russie a fait preuve de “bonne volon­té” dans les années 1990–2000. Elle a rem­pli tous ses enga­ge­ments, a sor­ti ses uni­tés mili­taires de l’Allemagne de l’Est et d’autres ter­ri­toires »
Gérard-François Dumont : certes mais la Russie n’avait guère le choix.

4. « La Russie a aidé l’Ukraine après la dis­so­lu­tion de l’URSS. Putine estime le béné­fice de ces aides à 250 mil­liards de dol­lars »
Gérard-François Dumont : c’est exact, notam­ment en ven­dant du gaz très peu cher par rap­port à ses autres clients.

5. « L’Ukraine a “volé” du gaz à la Russie »
Gérard-François Dumont : il convien­drait de par­ler de spé­cu­la­tion plu­tôt que de vol. En fait, des oli­garques ukrai­niens ache­taient du gaz russe très bon mar­ché pour le revendre à l’Union euro­péenne en fai­sant de sub­stan­tiels béné­fices, ce qui a géné­ré des ten­sions pério­diques entre l’Ukraine et la Russie.

6. « Les habi­tants de Crimée ont choi­si de se rat­ta­cher à la Russie en 2014 »
Gérard-François Dumont : oui mais ce réfé­ren­dum de rat­ta­che­ment de la Crimée à la Russie auquel fait allu­sion Poutine n’est pas recon­nu par la com­mu­nau­té internationale.

7. « La révo­lu­tion ukrai­nienne de 2014 a été finan­cée à hau­teur d’un mil­lion par jour par les États-Unis »
Gérard-François Dumont : les chiffres sont impos­sibles à véri­fier mais que les ser­vices amé­ri­cains aient agi dans ce sens est un secret de polichinelle.

8. « L’économie de l’Ukraine est en ruine : près de 6 mil­lions des Ukrainiens, soit 15 %, ont été obli­gés de par­tir à l’étranger pour cher­cher du tra­vail et depuis 2014, le prix de l’eau a aug­men­té de 30 % ! »
Gérard-François Dumont : ces chiffres sont pro­ba­ble­ment proches de la réa­li­té. Quant à l’exode, il est dû au niveau de vie très bas et à la forte corruption.

9. « En Ukraine, la langue russe est exclue de la sphère publique, des écoles et même des maga­sins »
Gérard-François Dumont : je confirme l’existence de cette loi qui s’applique même dans les ter­ri­toires où 99 % de la popu­la­tion est russophone.

10. « Les États-Unis ne veulent pas d’un « grand pays indé­pen­dant comme la Russie au sein de l’Otan »
Gérard-François Dumont : ça semble une évi­dence.

Ajoutons à ça l’expansion injus­ti­fiée de l’OTAN qui a annexé tous les pays consti­tuant la zone de sécu­ri­té deman­dée par la Russie (voir l’excellent article de Patrice Lemaître : Russie – Ukraine : oui mais… publié hier) et on com­prend pour­quoi Vladimir Poutine s’estime dans son bon droit. N’étant pas le genre d’homme à ava­ler des cou­leuvres indé­fi­ni­ment, il a donc déci­dé de sif­fler la fin de la par­tie : « Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin, elle se casse ». Maintenant, jusqu’où va-t-il pous­ser son coup de gueule ? Toute la ques­tion est là.

Charles ANDRÉ
« L’important n’est pas de convaincre mais de don­ner à réflé­chir. »


En savoir plus : Ukraine et Russie, un divorce tou­jours conflic­tuel, par Gérard-François DUMONT, le 4 juin 2017

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Charles André

1 commentaire

  1. Tout a fait d’ac­cord et tres bon article sur l’Ukraine.
    Merci

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