Au Niger, la diplomatie est sacrifiée à la politique étrangère
Le torchon brûle(1) entre l’État français et le régime nigérien en place depuis le 26 juillet dernier. À distinguer des résidents français, non visés personnellement.
On sait les arguments juridiques toujours interprétables, tant le droit international n’est pas une science exacte mais à géométrie variable. C’est ce qu’illustre le rapport de force autour de la reconnaissance contestée et de la présence refusée, à Niamey, de l’ambassadeur de France. Il oppose une affirmation souverainiste de fait, nigérienne, à une politique étrangère de principe, française.
La stratégie du bluff, degré zéro de la diplomatie
Comme annoncé dans cette tribune(2), l’injonction adressée par la communauté internationale aux auteurs du putsch a fait pschitt.
Car le bluff n’est un procédé efficace de diplomatie que s’il s’appuie sur une volonté et des moyens de coercition crédibles. Or, en Afrique, toute solution aux problèmes les plus graves repose sur une interaction humaine continue et normée, mise en scène par des acteurs acceptés (pactes, médiations, alliances, etc.)(3).
C’est le sens historique des lettres de créance, crédits de confiance accordés à des diplomates – qui ne sont pas de simples boites aux lettres – jugés aptes, par leur expérience et leur personnalité, leurs connaissances et leurs qualités, à maintenir un canal de discussion quel que soit le degré de tension.
Or, cette tradition française ancienne de la diplomatie est remise en cause. Généralisée et normalisée au XVIIe siècle sous l’influence de l’émissaire François de Callières, elle visait à gérer l’augmentation du volume et l’accélération du rythme des relations entre les nations. Davantage connu et enseigné à l’étranger qu’en France, son ouvrage de référence De la manière de négocier avec les souverains(4), d’une grande actualité, mise moins sur des techniques que sur des qualités humaines (expérience, culture, humilité, savoir-vivre, écoute, persuasion, civilité). Cette tradition est menacée par la politisation à l’extrême.
Le « déni de réalité » des élites françaises est décidément l’un des maux français qui coûte le plus cher à la France.
Pour tromper l’adversaire, encore faut-il ne pas se tromper sur soi-même
Il y a cent ans, à la veille du déclenchement de la première guerre mondiale qui a marqué un tournant majeur dans l’ordre du monde moderne, l’un des intellectuels les plus visionnaires du XXe siècle s’adressait ainsi aux politiciens gauchistes et idéologues pacifistes : « Vous nous affirmez que l’âme des chancelleries contemporaines, surtout allemandes, est le bluff , − et vous ne sentez pas que vous aussi bluffez, pour parler votre langue, et que votre bluff obligera votre partenaire à des bluffs redoublés. C’est à quoi il vous faudra bien peut-être répondre. » (Charles Maurras, Kiel et Tanger, 1914)(5).
C’est un peu comme ces rêves pénibles où l’on ne parvient pas à réaliser une tâche simple, urgente et nécessaire, comme englué dans une forme irrésistible d’impuissance alors qu’on contribue à sa propre perte sans résoudre le problème des autres, aggravant le problème au lieu de contribuer à sa solution. Cette fuite en avant politique suicidaire, pénible et lancinante, évoque le poème d’Aragon « Le vaste monde » :
Où faut-il qu’on aille
Pour changer de paille
Si l’on est le feu
À moins qu’il ne faille
Si l’on est la paille
Fuir avec le feu
La paille est si tendre
Mais vouloir l’étendre Étendra le feu
Qu’on tente d’étreindre
Or il faut l’éteindre
Le feu de paille politique a supplanté le temps long diplomatique
En effet, une politique étrangère fébrile a pris le relais. Le logiciel macronien de déconstruction, algorithme technocratique, casse un code de plus, celui de la diplomatie traditionnelle fondée sur des relations humaines de qualité. Suite logique de la suppression du Corps diplomatique en avril 2022(6), il permet désormais de nommer n’importe quel haut fonctionnaire selon l’envie du moment et l’air du temps – aujourd’hui le lettré anti national Pap Ndiaye(7) ; demain, une activiste blogueuse propulsée à un rang ministériel. « Il faut être fiers d’être des amateurs »(8), aime flatter Macron…
Pour autant, la politique étrangère de la France, perçue en Afrique comme confuse et intrusive tout en étant masochiste et impuissante, ne maitrisera ni ne facilitera pas les transitions politiques en Afrique francophone. Elle ne servira pas non plus les intérêts de la France. Incohérente et irrationnelle (les moyens concrets ne permettent pas de réaliser les fins annoncées), elle prétend déconstruire les sociétés traditionnelles en conditionnant une aide financière décroissante à leur alignement sur la politique étrangère des États-Unis, dont elle est devenue le porte-drapeau européen, et aux idéologies progressistes californiennes que rejettent les populations africaines conservatrices.
Un diplomate africaniste chevronné souligne en privé, que « le fait de déclarer un ambassadeur persona non grata, comme au Mali ou au Burkina, est une option qui sauve à tous la face, en ce qu’elle permet de mettre sur le compte d’une personne des difficultés qui sont en réalité celles des États. » Ici, le gouvernement autoproclamé nigérien n’a pas fait référence à l’article 9 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques(9). Il ne fait que réagir au refus de l’ambassadeur de France, ordonné par Paris, de répondre à une convocation du nouveau régime en invoquant son illégitimité, ce qui interrompt la communication. Dans la culture locale, ce refus est considéré comme une offense grave et injustifiée.
Pour sauver les apparences sinon la face, il ne reste à la France qu’à reconnaitre de fait, comme interlocuteur valable, le nouveau régime du Niger largement plébiscité par sa population. Comme elle le fait ailleurs et depuis longtemps avec des interlocuteurs peu conformes aux standards droits-de‑l’hommistes dont elle se pare. Sous peine de graves incidents spontanés ou orchestrés, et d’une expulsion du personnel diplomatique et militaire. Les pays africains peuvent plus facilement se passer de la France, que l’inverse. En attendant, l’ambassadeur privé de visa pour raison politique, peut vivre et travailler quelque temps avec ses réserves dans les locaux de l’ambassade de France encore protégée par l’immunité… diplomatique.
Jean-Michel Lavoizard
Jean-Michel Lavoizard est le dirigeant-fondateur de la société ARIS – Advanced Research & Intelligence Services.
Jean-Michel Lavoizard publie également sur Boulevard Voltaire.
Les articles du même auteur
[NDLR] Notre illustration à la une : le Quai d’Orsay
A Pastorelli :
Bah ! le Gay d’Orsay fuit, evite de rendre des comptes aux Françaises et aux Français ! Il fuit même la « consultation » des élus de la Nation. Je ne suis pas un spécialiste (dans ce contexte de sous-information) il n’est pas difficile de VOIR et CONSTATER que la volonté que pourrait exprimer le Peuple à la base serait éloignée et très compromise, que de nombreuses barrières ont été mises en place pour tenir la populasse et la représentation nationale très éloignées des prises de décisions politiques/sociales les concernant !
Au fait c’est quand les prochaines élections…?
Les opportunistes politicards(es) voudraient un référendum portant sur l’immigration ! Très opportun, n’est-ce pas !!! Le débat est engagé… Que deviennent les intérêts de la France ????? Bof, les intérêts des arrivistes D’ABORD !!!!
Encore une analyse pertinente de Jean-Michel Lavoizard qui nous démontre, avec sa connaissance profonde de l’Afrique, qu’une fois de plus (une fois de trop ?) ce gouvernement de pacotille et tous ses supplétifs uniquement assoiffés de Pouvoir et d’argent sont à côté de la plaque.
Ce ne serait pas grave si cela n’engageait qu’eux !
Mais il (ils) nous emporte(nt) dans sa(leur) chute.
Certains ont compris depuis peu et commencent à le dire. Ils écoutent enfin ceux qui le disent depuis longtemps.
La France aura quitté L’AFRIQUE À TRÈS COURT TERME.
Il ne s’agit pas de se réjouir ou d’en pleurer, il s’agit d’être pragmatique et de profiter de ce temps qui nous sera donné pour REFONDER une autre relation.
Entre temps nos amis Africains auront appris le Russe et le Chinois !
C’est notre faute, UNIQUEMENT la nôtre !
Cela c’est joué sur les 10 dernières années.
Le temps est venu, la Françafrique n’est plus.
La France peut se débarrasser du carcan des réseaux, de la culpabilité malsaine entretenue par les profiteurs et de cet insupportable paternalisme donneur de leçons envers une Afrique qu’elle ne comprend plus.
Bienvenue à la création de relations saines et éclairées de pied à pied, d’égal à égal où un deal est un deal et les leviers qui créent les compromis existent réellement (pour les parties engagées).
En commençant par un message clair :
L’Afrique ! Tu ne nous veux plus chez toi ?
Nous partons ! et avons dorénavant la liberté de te dire que nous ne te voulons plus chez nous !
Ce qui établira nos relations futures seront des fondements plus clairs et équitables pour tous.
Vivement demain !
Tout à fait d’accord avec Mandrake !
J’ajoute que le Maghreb fait partie de l’Afrique.
A ce titre SUPPRESSION IMMÉDIATE DE L’ACCORD DE MARRAKECH qui nous oblige à accueillir plus de Maghrébins tous les ans.
Oui, vous avez raison ! Vous écrivez : « En commençant par un message clair :
L’Afrique ! Tu ne nous veux plus chez toi ?
Nous partons ! et avons dorénavant la liberté de te dire que nous ne te voulons plus chez nous !
Ce qui établira nos relations futures seront des fondements plus clairs et équitables pour tous. »
Mais c’est évident ! Comment les Africains peuvent-ils continuer à vivre en France puisqu’ils n’en veulent plus ?
Les « migrants » — comme leur nom l’indique du reste fort bien — doivent dorénavant MIGRER en Russie ou en Chine. Ils s’y sentiront mieux, n’est-ce pas !
Malheur au pays dont le Prince est un enfant.…
Cela ne s’appelle plus le « Quai d’Orsay », mais le « Gay d’Orsay »