Droit européen et droit national, éléments d’information
Après avoir analysé les contrats d’achats de « vaccins » par l’Europe (lire nos articles des 9 septembre et 15 octobre 2021), Olivier Frot, diplômé de Saint-Cyr et docteur en droit, nous aide à mieux comprendre comment s’articulent les différentes juridictions et réglementations nationales et européennes.
Bien que le droit européen soit par nature supérieur au droit national et que les autorités législatives et réglementaires n’aient pas la possibilité de s’en affranchir, il demeure que la santé n’est pas une prérogative de l’Union Européenne.
La hiérarchie des normes juridiques
La caractéristique de l’État de droit se traduit par la hiérarchie des normes juridiques, schématisée ici :
On peut constater sur ce schéma que la norme suprême est la Constitution, et immédiatement en dessous, les traités internationaux ratifiés par la France.
Concernant l’évolution du droit, le parallélisme des formes est la règle, à savoir que seule la loi peut défaire ce qu’elle a fait, que le règlement lui est subordonné et ne peut intervenir dans le domaine de la loi.
La Constitution définit dans son article 34 ce qui relève du domaine de la loi et dans son article 37, du domaine réglementaire (décrets et arrêtés).
2. La place du droit européen
21. Les traités
Le corpus de droit européen est abondant et complexe. On distinguera ce qui relève exclusivement de l’Union européenne et ce qui revient au Conseil de l’Europe, qui sont deux entités distinctes mais souvent confondues par le grand public.
Pour ce dernier, il s’agit de la Convention européenne des droits de l’homme(1).
Côté Union européenne, on relève tout d’abord, le Traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), à intégrer dans ce corpus. En l’espèce il s’agit actuellement du Traité de Lisbonne, qui englobe aussi tous ceux qui l’ont précédé (Nice, Maastricht, etc.). À ce niveau se situe aussi la Charte des droits fondamentaux de l’UE(2).
Ces trois textes sont des traités qui ont été ratifiés par la France. En application des dispositions de l’article 55 de la Constitution de 1958, « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».
→ Par conséquent, la loi nationale ne peut aller à l’encontre des dispositions de ces traités.
22. Les directives et règlements
En outre, l’Union européenne publie des directives et des règlements, afin de mettre en œuvre concrètement les points décidés dans les traités, dans les différents domaines concernés délégués par les États membres à l’Union. Les directives sont rédigées à l’initiative de la Commission, discutées et votées par le Conseil des ministres européens et le Parlement européen qui vote leur adoption. Une fois votées, les directives doivent être transposées dans les normes nationales des États membres avant la fin d’un délai décidé avec la directive (généralement de 18 mois à deux ans). La transposition sera effectuée au moyen de lois et/ou de règlements, selon le domaine traité par les directives.
Par exemple, concernant la commande publique, nous avons quatre directive(3), transposées en droit français dans le Code de la commande publique entré en vigueur en 2019, comportant une partie législative (articles commençant par un L) et une partie réglementaire (articles commençant par un R).
Les règlements européens sont des documents considérés comme techniques. Préparés par la Commission, ils sont d’application immédiate et ne nécessitent pas de transposition en droit interne(4) pour leur exécution. Pour reprendre l’exemple de la commande publique, le contenu des avis de publicité invitant les entreprises à soumissionner à un marché public, fait l’objet d’un règlement(5). Dans l’actualité COVID, il importe de souligner l’existence de règlements, notamment celui concernant le régime des autorisations conditionnelles de mise sur le marché des médicaments appelés vaccins(6).
Quelle est la place des directives et règlements dans le droit interne ? Dans deux grands arrêts, le Conseil d’État a jugé en 1989(7) que les directives européennes sont une norme équivalente aux traités ratifiés et qu’ainsi, une loi postérieure à la date d’entrée en vigueur d’une directive ne peut aller à l’encontre des dispositions de celle-ci et qu’une loi antérieure mais contraire, doit être changée. La Cour de cassation s’était prononcée plus tôt que le Conseil d’État en acceptant de contrôler la compatibilité d’une loi postérieure à un traité(8).
23. La jurisprudence
La jurisprudence « européenne » dispose d’une place importante dans ce dispositif. Le rôle du juge est de trancher un litige en regard des textes, ce qui revient à interpréter des textes et conduit souvent à des constructions « prétoriennes », c’est-à-dire que le juge va fabriquer une règle de droit à l’occasion d’un jugement.
Les juridictions sont différentes, selon qu’il s’agisse de l’Union européenne ou du Conseil de l’Europe.
Pour l’Union européenne, la juridiction compétente est la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) située au Luxembourg(9). Celle-ci a pour fonction d’interpréter la loi européenne afin de s’assurer qu’elle soit appliquée de la même façon dans tous les États membres et règle les conflits entre les gouvernements des États membres et les institutions européennes. La Cour dispose d’un Tribunal de première instance(10) (TP1) compétent pour juger de certaines instances.
Pour le Conseil de l’Europe, le juge compétent est la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), située à Strasbourg(11). Cette juridiction internationale est chargée de « veiller au respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales par les 47 États qui l’ont ratifiée ».
Conclusion :
Le droit européen est par nature supérieur au droit national et les autorités législatives et réglementaires n’ont pas la possibilité, ayant ratifié ces traités, de s’en affranchir. De même, les décisions juridictionnelles des entités CJUE ou CEDH sont opposables dans des conflits juridictionnels internes.
Olivier Frot
Annexe :
Type de document | Objet | Observations |
Recommandation(12) 2020|1475 du Conseil du 13 octobre 2020 | Relatif à une approche coordonnée de la restriction de la libre circulation en réaction à la pandémie de COVID-19 | Il s’agit d’une simple recommandation, à valeur indicative, qui donc ne lie pas les gouvernements (art. 288 TFUE) |
Décision de la Commission 2021|4034 du 26/08/2021 | Modifiant l’autorisation de mise sur le marché conditionnelle accordée par la décision C(2020)9598 final pour le médicament à usage humain « Comirnaty – vaccin ARNm COVID-19 » (nucléoside modifié) |
Il s’agit d’une décision, donc d’application contraignante (art.288 TFUE) |
Règlement 2021|953 du Parlement et du Conseil du 14 juin 2021 | Relatif à un cadre pour la délivrance, la vérification et l’acceptation de certificats COVID-19 interopérables de vaccination, de test et de rétablissement (certificat COVID numérique de l’UE) afin de faciliter la libre circulation pendant la pandémie de COVID-19 | Il s’agit d’un règlement, donc d’application contraignante et le droit interne ne pourra aller contre ce règlement |
Règlement 2016|369 du Conseil du 15 mars 2016 | Relatif à la fourniture d’une aide d’urgence au sein de l’Union | Il s’agit d’un règlement, donc d’application contraignante en droit interne. Ce règlement a permis de transférer à la Commission la fonction d’acheter les vaccins |
Agreement between the commission and member states on procuring COVID-19 vaccines on behalf of the member states and related procedures, annexed to the commission decision c(2020) 4192 final of 18 june 2020 | Accord entre les États membres et la Commission pour lui conférer l’achat de vaccins | La santé n’est pas une prérogative de l’UE. Cet accord a été fondé sur le règlement relatif à l’aide d’urgence et a donné lieu à une décision de la Commission(13), donc contraignante |
(1) https://www.cncdh.fr/sites/default/files/cedh_0.pdf
(2) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:12012P/TXT
(3) Directive 2014/23/UE du 26 février 2014 sur l’attribution des contrats de concession
Directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE
Directive 2014/25/UE relative à la passation des marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux et abrogeant al directive 2004/17/CE
Directive 2009/81/CE relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés de travaux, de fournitures et de services par des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les domaines de la défense te de la sécurité, et modifiant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE
(4) Article 288 TFUE (ex-art. 249 TCE) : « Pour exercer les compétences de l’Union, les institutions adoptent des règlements, des directives, des décisions, des recommandations et des avis.
Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre.
La directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens.
La décision est obligatoire dans tous ses éléments. Lorsqu’elle désigne des destinataires, elle n’est obligatoire que pour ceux-ci.
Les recommandations et les avis ne lient pas. »
(5) Règlement 2019⁄1780 du la Commission du 23 septembre 2019 :
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32019R1780
(6) Règlement n°507/2006 du 29 mars 2006 relatif à l’autorisation de mise sur le marché conditionnelle de médicaments à usage humain relevant du règlement 726⁄2004 du Parlement et du Conseil :
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32006R0507&from=FR
(7) CE 3 février 1989, Alitalia :
https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/les-grandes-decisions-du-conseil-d-etat/conseil-d-etat-3-fevrier-1989-compagnie-alitalia
CE Ass 20 octobre 1989, Nicolo :
https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/les-grandes-decisions-du-conseil-d-etat/conseil-d-etat-assemblee-20-octobre-1989-nicolo
(8) CCass 24 mai 1975, Sté Jacques Vabre :
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000006994625/
(9) https://european-union.europa.eu/institutions-law-budget/institutions-and-bodies/institutions-and-bodies-profiles/court-justice-european-union-cjeu_en
(10) https://www.touteleurope.eu/institutions/le-tribunal-de-premiere-instance-de-l-union-europeenne/
(11) https://www.strasbourg-europe.eu/eurorepertoire/cour-europeenne-des-droits-de-lhomme-cedh-conseil-de-leurope/
(12) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020DC0680
(13) https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/decision_approving_the_agreement_with_member_states_on_procuring_covid-19_vaccines_on_behalf_of_the_member_states_and_related_procedures.pdf
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