Démocratie 2.0 – Sommes-nous encore en démocratie ?

par | 28 mars 2023 | 4 Commentaires 

Olivier Frot est à la fois offi­cier saint-cyrien (Forces spé­ciales) et doc­teur en Droit public (30 ans d’ac­ti­vi­té de conseil). Cette double expé­rience lui per­met d’a­na­ly­ser de façon per­ti­nente où en est notre démo­cra­tie.
Il a publié une tri­bune très judi­cieuse sur France-Soir qu’il nous auto­rise à reproduire :

Nous vivons aujourd’hui sous un régime inédit, « En même temps » auto­ri­taire et faible, répres­sif mais bien­veillant, qui au nom du Bien tel qu’il le conçoit, a détour­né et per­ver­ti l’État de droit.

En prin­cipe, la France est gou­ver­née selon un régime répu­bli­cain, démo­cra­tique et consti­tu­tif d’un État de droit, tra­duit par une hié­rar­chie des normes juri­diques, normes crées par des pou­voirs sépa­rés et contrô­lés par le juge, le sou­ve­rain étant le peuple, qui exerce le pou­voir par ses représentants.

La pra­tique poli­tique et l’évolution légis­la­tive et régle­men­taire, en par­ti­cu­lier l’évolution des trente der­nières années, accen­tuée sen­si­ble­ment par le régime actuel, tra­duisent une dérive de l’État de droit. Cette dérive est deve­nue rup­ture à l’occasion de l’épidémie de Covid-19, condui­sant à une situa­tion qui devrait pré­oc­cu­per tout citoyen atta­ché aux liber­tés publiques. Cette rup­ture s’est aggra­vée lors des ses­sions par­le­men­taires de début 2023, avec une forme d’apothéose lors des dis­cus­sions por­tant sur la réforme des retraites.

En principe, la France est gouvernée selon un régime républicain, démocratique et constitutif d’un État de droit

La répu­blique fran­çaise est certes, un État de droit, mais à l’avantage de l’État.

L’État de droit est un État dans lequel tous les indi­vi­dus et col­lec­ti­vi­tés, publiques ou pri­vées, sont sou­mis à une règle de droit. L’État de droit s’oppose à l’État de police, dans lequel règne l’arbitraire, où les auto­ri­tés ne voient pas leurs acti­vi­tés enca­drées par le droit.

En France, cet État de droit est tem­pé­ré par le fait que le droit n’est pas le même pour le sec­teur public (État, col­lec­ti­vi­tés locales, éta­blis­se­ments publics, sec­teur hos­pi­ta­lier public) et le sec­teur pri­vé (par­ti­cu­liers, entre­prises) : les acti­vi­tés du pre­mier sont régies par le droit admi­nis­tra­tif, celles des seconds par le droit pri­vé, le contrôle juri­dic­tion­nel rele­vant de juri­dic­tions sépa­rées (juge judi­ciaire, juge admi­nis­tra­tif). Dans les pays qui n’ont pas adop­té la tra­di­tion juri­dique fran­çaise, en par­ti­cu­lier chez les anglo-saxons, le droit (et le juge) est le même pour tous (la « Common Law »).

L’État de droit est national et se matérialise dans la hiérarchie des normes juridiques.

National, car l’expression démo­cra­tique des suf­frages du peuple est liée à la conscience de « faire Nation ». Un peuple avec son his­toire, sa civi­li­sa­tion, sur un ter­ri­toire don­né, va se doter au cours de l’Histoire des normes juri­diques réglant son fonc­tion­ne­ment, c’est l’essence même de la démo­cra­tie (démos, le peuple et cra­tos, le pou­voir). Le peuple est donc le sou­ve­rain et il choi­sit ses repré­sen­tants, qui ne sont que ses représentants.

Le sché­ma ci-après pré­sente cette hié­rar­chie des normes.Olivier Frot - Hiérarchie des normesLa léga­li­té consti­tu­tion­nelle de la loi est déci­dée par le Conseil consti­tu­tion­nel(1), sur sai­sine du Président, du Gouvernement, ou de 60 dépu­tés ou séna­teurs, ou à l’occasion d’une ques­tion prio­ri­taire de consti­tu­tion­na­li­té (QPC) dépo­sée lors d’une ins­tance juri­dic­tion­nelle. Le juge admi­nis­tra­tif est le juge de la léga­li­té des actes et textes régle­men­taires (tri­bu­naux admi­nis­tra­tifs, cours admi­nis­tra­tives d’appel, Conseil d’État).

L’autorité judiciaire est aussi pourvoyeuse de règle de droit.

La juris­pru­dence fai­sant suite à l’examen d’instances par le juge fait évo­luer le droit et confère, de fait, une acti­vi­té nor­ma­tive au juge. Il convient de sou­li­gner, sur le plan de la démo­cra­tie, que les juges ne sont pas élus mais nom­més ou pro­mus par le pou­voir exécutif.

Toute cette archi­tec­ture des normes se tra­duit par une hié­rar­chie des auto­ri­tés, clai­re­ment défi­nie et repo­sant sur une appa­rente sépa­ra­tion devant conduire à l’é­qui­libre. Dans un régime démo­cra­tique, chaque pou­voir doit être équi­li­bré par un contre-pou­voir, car si « le pou­voir cor­rompt, le pou­voir abso­lu cor­rompt abso­lu­ment »(2). La hié­rar­chie des auto­ri­tés de la Ve répu­blique est sché­ma­ti­sée ci-dessous :

Olivier Frot - Hiérarchie des autorités

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La pratique politique et l’évolution législative et réglementaire traduisent une dérive de l’État de droit

Le Parlement, légis­la­teur en perte de vitesse non­obs­tant le nombre impres­sion­nant de textes votés.

La France est carac­té­ri­sée par une infla­tion légis­la­tive et régle­men­taire : en 2008(3) on pou­vait comp­ter 10 500 lois et 127 000 décrets. En 2013, leur nombre attei­gnait res­pec­ti­ve­ment 11 500 et 280 000, en constante augmentation !

Les règles changent chaque jour et les textes sont de plus en plus mal rédi­gés, peu clairs. Le prin­cipe de « nul n’est cen­sé igno­rer la loi » peut prê­ter à sou­rire. En fait, une des carac­té­ris­tiques des régimes tota­li­taires est de pou­voir jouer sur l’ignorance du public pour tou­jours trou­ver une infrac­tion carac­té­ri­sée que l’intéressé ne soup­çon­nait même pas : le régime peut ain­si à tout moment prendre n’importe quel qui­dam en défaut. Avec un tel foi­son­ne­ment de textes, même les juristes doivent se spé­cia­li­ser dans des domaines de plus en plus res­treints ou décou­vrir les textes à l’occasion d’un dos­sier à traiter.

Victor-Klemperer-LTI-Langue-III-ReichCacher les dis­po­si­tions oppo­sables au milieu du nombre, est un pro­cé­dé beau­coup plus sub­til et effi­cace que les gros sabots Teutons des années 30 qui pra­ti­quaient les « décrets cachés » connus de la seule police, mais oppo­sables aux citoyens, rap­por­tés par le phi­lo­logue Victor Klemperer dans son célèbre ouvrage « LTI, la langue du IIIe Reich ».

Le rôle du Parlement a été dévitalisé par l’évolution récente introduite par diverses modifications constitutionnelles.

La Constitution n’a été modi­fiée que cinq fois entre 1958 et 1992 pour des motifs divers, en par­ti­cu­lier en 1962 pour l’élection du pré­sident au suf­frage uni­ver­sel direct (cette réforme a sou­le­vé des débats très vifs à l’époque). Cette sta­bi­li­té s’est ache­vée avec l’adoption (de jus­tesse) par réfé­ren­dum du trai­té de Maastricht en 1992. Entre 1992 et 2008, la Constitution a été modi­fiée dix-neuf fois, pour inté­grer des dis­po­si­tions des dif­fé­rents trai­tés euro­péens (ce qui tend à prou­ver que le droit euro­péen sup­plante même la Constitution, ce qui est une erreur juri­dique, récem­ment mise en avant par la Cour consti­tu­tion­nelle alle­mande) ou pour ajou­ter des dis­po­si­tions socié­tales (prin­cipe de pré­cau­tion, abo­li­tion de la peine de mort, ins­ti­tu­tion du Défenseur des droits…) ou ins­ti­tu­tion­nelles (quin­quen­nat, infor­ma­tion du par­le­ment en cas d’intervention des forces armées, réfé­ren­dum d’initiative par­ta­gée, QPC).

Par consé­quent, la Ve République d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec celle du géné­ral de Gaulle, qui, outre le texte, avait mis en œuvre une pra­tique tota­le­ment aban­don­née par ses suc­ces­seurs, en par­ti­cu­lier François Mitterrand et Jacques Chirac qui, déju­gés par les élec­teurs, n’ont pas démis­sion­né quand leur par­ti a per­du les élec­tions et ont pour­sui­vi leur man­dat en « coha­bi­ta­tion », contrai­re­ment à la pra­tique gaul­lienne. Pire, Jacques Chirac a tota­le­ment per­ver­ti l’esprit de la Ve en ins­tau­rant le quin­quen­nat et les élec­tions légis­la­tives dès la fin des pré­si­den­tielles, assu­rant le pré­sident nou­vel­le­ment élu, par effet d’entraînement, d’une majo­ri­té pen­dant toute la durée de son man­dat de cinq ans. Malgré cela, Emmanuel Macron n’a pas obte­nu de majo­ri­té abso­lue suite aux élec­tions de 2022, mar­quant ain­si la fra­gi­li­té de sa légi­ti­mi­té. La Constitution ini­tiale ins­tau­rait un équi­libre des pou­voirs entre les pou­voirs légis­la­tif et exé­cu­tif, certes au béné­fice de ce der­nier : c’était le sou­hait du géné­ral de Gaulle (dis­cours de Bayeux) mis en œuvre par Michel Debré, en réac­tion au délé­tère « régime des par­tis » des répu­bliques précédentes.

La réforme Chirac a pro­fon­dé­ment alté­ré la Constitution et trans­for­mé le Parlement en chambre d’enregistrement à la botte du pré­sident (il y a navette entre le Sénat et l’Assemblée natio­nale pour le vote des lois, mais l’Assemblée a le der­nier mot, en cas de désac­cord des deux chambres). Le géné­ral de Gaulle était très oppo­sé à une telle réforme : « Parce que la France est ce qu’elle est, il ne faut pas que le pré­sident soit élu simul­ta­né­ment avec les dépu­tés, ce qui mêle­rait sa dési­gna­tion à la lutte directe des par­tis, alté­re­rait le carac­tère (…) de sa fonc­tion de chef d’État » (allo­cu­tion du 31 jan­vier 1954). Or on le constate aujourd’hui dans les faits, le pré­sident de la République est deve­nu, avant tout, un chef de parti.

Un Parlement peu représentatif du peuple.

Il convient de se pen­cher main­te­nant sur la situa­tion spé­ci­fique actuelle, en par­ti­cu­lier sur la repré­sen­ta­ti­vi­té réelle de l’Assemblée natio­nale, sans entrer dans des consi­dé­ra­tions de sta­tis­tiques socio­lo­giques des élus en regard de la population.

Par exemple, lors du pre­mier quin­quen­nat d’Emmanuel Macron, le par­ti pré­si­den­tiel LaREM, avait obte­nu 306 sièges pour 43,06 % des suf­frages expri­més(4) sur un total de 577 dépu­tés. Cette situa­tion inique est la consé­quence d’un sys­tème élec­to­ral (scru­tin majo­ri­taire à deux tours) visant à déga­ger une majo­ri­té franche, conju­guée au retour du « régime des par­tis » et des petits arran­ge­ments poli­ti­ciens de 2e tour qui vont avec.En 2022(5), on relève les mêmes biais, repris dans le tableau ci-dessous :

Parti % ins­crits % expri­més sièges
NUPES 13,49 31,6 127
Renaissance (ex-REM) 16,47 38,57 244
LR 2,98 6,98 61
RN 7,39 17,3 89

Si l’on rap­porte le nombre d’élus au pour­cen­tage de voix obte­nues des élec­teurs ins­crits (nombre infé­rieur aux citoyens en âge de voter), on ne peut que consta­ter la faible repré­sen­ta­ti­vi­té des élus, cer­tains d’entre eux n’étant élu qu’à la majo­ri­té rela­tive, au second tour, avec des taux d’abstention supé­rieurs à 50 %. On constate aus­si que le nombre de sièges est plus que pro­por­tion­nel aux suf­frages exprimés.

Ce sys­tème élec­to­ral, qui était cohé­rent avec la lettre et l’esprit de la Constitution gaul­liste ini­tiale, abou­tit aujourd’hui à une démo­cra­tie repré­sen­ta­tive qui n’en a plus que le nom et dont on serait en droit de contes­ter la légi­ti­mi­té. C’est pro­ba­ble­ment une des causes de l’abstention de plus en plus mas­sive (pour ces légis­la­tives de 2017 : 51,3 % au pre­mier tour et 57,34 % au second(6), en 2022, on constate encore un taux d’abstention de 53,77 % au second tour(7)) et de l’épisode « Gilets jaunes » avec la demande de RIC (réfé­ren­dum d’initiative citoyenne). Il n’y a plus eu de réfé­ren­dum depuis 2005 et le vote des Français a été annu­lé par le vote du Parlement réuni en congrès à Versailles à l’initiative du pré­sident Sarkozy.

De plus, les repré­sen­tants de la Nation sont élus sur des dis­cours qui s’avèrent le plus sou­vent, des pro­messes creuses, « qui n’engagent que ceux qui les reçoivent » avait cyni­que­ment décla­ré un homme poli­tique. Le pire, c’est que cette décla­ra­tion est juri­di­que­ment exacte : en effet, l’article 27 de la Constitution dis­pose que « tout man­dat impé­ra­tif est nul », ce qui signi­fie que les enga­ge­ments avant l’élection ne sont que des paroles qui n’engagent aucu­ne­ment l’élu, sa sanc­tion éven­tuelle étant lors de l’élection sui­vante (entre-temps, les élec­teurs auront oublié et les médias feront le reste).

L’opposition semble téta­ni­sée et comme le disait le socia­liste André Laignel : « Vous avez juri­di­que­ment tort car vous êtes poli­ti­que­ment mino­ri­taires ». C’est cynique et insul­tant, mais vrai dans les faits.

Le sys­tème élec­to­ral donne donc théo­ri­que­ment une majo­ri­té écra­sante au par­ti pré­si­den­tiel, or dans la pra­tique actuelle ses dépu­tés n’ont pas le droit de s’exprimer en dehors des consignes strictes du par­ti, en témoignent un cer­tain nombre de démis­sions ou d’exclusions (17 lors de la pré­cé­dente légis­la­ture, dont les plus célèbres : Agnès Thill, Joachim Son-Forget ou encore, Martine Wonner), situa­tion aus­si en vigueur dans les autres groupes. Ces consignes pour­raient être consi­dé­rées comme contraires à la Constitution, selon les dis­po­si­tions de l’article 27 pré­ci­té qui inter­dit le man­dat impé­ra­tif et ajoute que « le droit de vote des membres du Parlement est per­son­nel ».

Dans la confi­gu­ra­tion actuelle, les Français élisent un pré­sident et sa majo­ri­té pour cinq ans, avec en pra­tique pour celui-ci, liber­té totale de gou­ver­ner comme il l’en­tend sans avoir de comptes à rendre, jus­qu’à l’é­lec­tion sui­vante. On com­prend pour­quoi le can­di­dat Macron avait décla­ré en 2017 : « Mais on se fout des pro­grammes ! ». Et l’élection de 2022 a été conduite sans véri­table cam­pagne élec­to­rale, l’idée maî­tresse étant de « faire bar­rage »…

Un parlement godillot souvent contourné : l’oubli de sa consultation, l’état d’urgence permanent et la pratique des ordonnances

Le pré­sident a envoyé en 2022 des forces armées en opé­ra­tions exté­rieures pour sou­te­nir l’Ukraine, depuis la Roumanie et les pays baltes. Or, l’article 35 de la Constitution exige un vote du Parlement après quatre mois de déploie­ment : un tel vote n’a jamais eu lieu.

Le pro­jet de loi de finances rec­ti­fi­ca­tive de la sécu­ri­té sociale, por­tant le report de l’âge légal de la retraite, a été fina­le­ment adop­té sans vote grâce à la 11e uti­li­sa­tion consé­cu­tive de l’article 49–3 de la Constitution par le gou­ver­ne­ment Borne, contre la volon­té mani­feste de la popu­la­tion fran­çaise : une motion de cen­sure trans­par­ti­sane visant à faire tom­ber le gou­ver­ne­ment a échoué à 9 voix près, le 20 mars 2023.

L’épidémie de Covid-19 a déjà été l’occasion pour le Pouvoir de contour­ner l’article 16 de la Constitution pré­vu pour gérer une situa­tion excep­tion­nelle pen­dant une durée limi­tée, pour au contraire, se faire légis­la­teur et modi­fier le droit per­ma­nent. Il s’en est sui­vi une courte loi orga­nique d’un seul article et une loi d’habilitation géné­rale par le Parlement pour auto­ri­ser le gou­ver­ne­ment à légi­fé­rer par ordon­nance (pra­tique déjà appli­quée lar­ge­ment depuis le début du man­dat alors en cours). Le gou­ver­ne­ment a pris qua­rante-huit ordon­nances modi­fiant le droit actuel, ain­si que de nom­breux décrets et arrê­tés, qui ont notam­ment modi­fié le Code de la san­té publique et intro­duit des dis­po­si­tions per­ma­nentes. Le gou­ver­ne­ment avait déjà publié 68 ordon­nances en 2017 et 28 en 2018(8).

La créa­tion de la notion d’état d’urgence sani­taire a ins­tau­ré un nou­vel état d’exception inté­gré dans le droit interne, lais­sée à l’i­ni­tia­tive de l’exé­cu­tif, for­te­ment atten­ta­toire aux liber­tés publiques, néan­moins vali­dé par le Conseil constitutionnel.

L’avantage de ce pro­cé­dé par rap­port à l’article 16 est sa dis­cré­tion et l’introduction subrep­tice dans le droit posi­tif, de mesures de contrôle social strict à carac­tère non plus tem­po­raire, mais permanent.

Ladite loi d’habilitation(9) est un véri­table chèque en blanc lais­sant une grande lati­tude au gou­ver­ne­ment pour opé­rer dans le domaine légis­la­tif et par suite, le nou­veau sys­tème en place s’inscrit dans la durée. Même si la loi d’habilitation fixe une durée limi­tée (renou­ve­lable par la loi, ce qui a déjà été fait une fois) pour cet état d’urgence sani­taire, la dis­po­si­tion existe à titre per­ma­nent et le gou­ver­ne­ment peut la mettre en œuvre à son ini­tia­tive, par décret, pour une durée d’un mois (pro­lon­ga­tion par la loi).

Le juge absent ou complaisant.

Le Conseil consti­tu­tion­nel a ren­du un avis conforme(10) sur la loi orga­nique d’urgence sani­taire(11) qui com­porte un article unique « Afin de faire face aux consé­quences de l’é­pi­dé­mie du virus Covid-19, les délais men­tion­nés aux articles 23–4, 23–5 et 23–10 de l’or­don­nance n° 58–1067 du 7 novembre 1958 por­tant loi orga­nique sur le Conseil consti­tu­tion­nel sont sus­pen­dus jus­qu’au 30 juin 2020.
La pré­sente loi entre­ra en vigueur immé­dia­te­ment et sera exé­cu­tée comme loi de l’État ».

Ces dis­po­si­tions concernent les délais de sai­sine des dif­fé­rentes cours suprêmes (Conseil consti­tu­tion­nel, Cour de cas­sa­tion, Conseil d’État) pour des ques­tions de liber­tés publiques à l’occasion d’instances.

La loi d’habilitation n° 2020-290 n’a pas été défé­rée au Conseil consti­tu­tion­nel, mais le pro­jet de loi auto­ri­sant la pro­lon­ga­tion de l’état d’urgence sani­taire a, lui, été pré­sen­té et par­tiel­le­ment vali­dé par le Conseil consti­tu­tion­nel(12).

Différentes déci­sions ou décrets gou­ver­ne­men­taux pris à l’occasion de la crise sani­taire ont été défé­rés devant le Conseil d’État qui est le juge des actes régle­men­taires, en ver­tu de la pro­cé­dure du réfé­ré liber­té pré­vu par le Code de jus­tice admi­nis­tra­tive(13) qui dis­pose que « sai­si d’une demande en ce sens jus­ti­fiée par l’ur­gence, le juge des réfé­rés peut ordon­ner toutes mesures néces­saires à la sau­ve­garde d’une liber­té fon­da­men­tale à laquelle une per­sonne morale de droit public ou un orga­nisme de droit pri­vé char­gé de la ges­tion d’un ser­vice public aurait por­té, dans l’exer­cice d’un de ses pou­voirs, une atteinte grave et mani­fes­te­ment illé­gale. Le juge des réfé­rés se pro­nonce dans un délai de qua­rante-huit heures ».

Le Conseil d’État a reje­té presque tous les recours, à l’exception notable de celui de l’office natio­nal de l’immigration et de l’intégration enjoi­gnant au ministre de l’Intérieur de réta­blir l’enregistrement des demandes d’asile.

Il a reje­té la requête du maire de Sceaux qui contes­tait l’ordonnance par laquelle le juge des réfé­rés du tri­bu­nal admi­nis­tra­tif de Cergy-Pontoise avait sus­pen­du, à la demande de la Ligue des droits de l’homme, l’exécution de l’arrêté du maire de Sceaux en date du 6 avril 2020 ayant subor­don­né au port d’un masque les dépla­ce­ments dans l’espace public des per­sonnes de plus de dix ans.

Il a aus­si reje­té les requêtes visant au dépis­tage sys­té­ma­tique au Covid des rési­dents en EHPAD ou leur accès aux soins, ain­si que la demande de levée de la limi­ta­tion de pres­crip­tion de l’hydroxychloroquine aux seuls cas avan­cés ou les plus graves de Covid-19 pour auto­ri­ser la liber­té de pres­crip­tion médi­cale des méde­cins (réfé­ré reje­té mais recours au fond en attente de jugement).

Et pendant ce temps-là…

Le Parlement qui mani­fes­te­ment n’avait que cela à faire, a adop­té, en pleine crise sani­taire, la pro­po­si­tion de loi Avia(14), « contre la haine sur inter­net », qui pri­va­tise et offi­cia­lise la cen­sure, sans l’intervention d’un juge, sur des bases non juri­diques (qu’est-ce que la haine ?) dans des condi­tions dignes d’une dic­ta­ture. Ce point mérite une ana­lyse spé­ci­fique et il sera inté­res­sant d’en suivre les conséquences.

La France (ou plu­tôt, « la République »), déjà à la 34e place en 2020(15) (32e dans le clas­se­ment pré­cé­dent) ne brille pas dans le clas­se­ment de Reporters sans fron­tières qui apporte la pré­ci­sion sui­vante : « L’indépendance édi­to­riale des médias n’est pas assez assu­rée pour des rai­sons de déten­tion capi­ta­lis­tique, de conflits d’intérêts qui sont plus grands qu’ailleurs, les groupes de médias étant de plus en plus déte­nus par des gens qui ont des inté­rêts exté­rieurs et peuvent, le cas échéant, uti­li­ser ces médias dans une logique d’in­fluence. » Étonnant, pour le pays des Droits de l’homme.

Enfin, le gou­ver­ne­ment, à l’occasion du décon­fi­ne­ment, a publié un décret sur­réa­liste(16) qui inter­dit dans tous les sens et intro­duit dans le droit posi­tif la notion de « gestes bar­rières », comme par exemple éter­nuer « dans son coude », se tou­cher le visage : cela veut dire que, ces dis­po­si­tions étant de nature régle­men­taire, leur non-res­pect peut conduire à être ver­ba­li­sé à l’initiative d’un offi­cier de police ou d’un maire. Alors que la période de confi­ne­ment a vu des poli­ciers ou gen­darmes se prendre pour des juges(17) en inter­pré­tant les textes pour dis­tri­buer des amendes, on peut s’attendre à des situa­tions bizarres et préoccupantes.

Bien plus, le minis­tère de l’éducation natio­nale a édic­té une « fiche » à l’intention des ensei­gnants, qui est un véri­table appel à la déla­tion si des enfants émettent des avis défa­vo­rables à l’action du gou­ver­ne­ment(18). Là il s’agit de « droit mou » mais l’intention tota­li­taire est bien là.

Sommes-nous alors encore en démocratie ?

Certes nous sommes en répu­blique, mais ce régime n’a jamais été syno­nyme de démo­cra­tie, loin s’en faut, car les contre-pou­voirs sont défi­cients face à un « pré­sident abso­lu ». En l’espèce, force est de consta­ter que :
• Les révi­sions suc­ces­sives de la Constitution ont vidé le rôle et le pou­voir du Parlement qui non seule­ment ne contrôle plus l’exécutif, mais lui est de fac­to subor­don­né, au moins pour l’Assemblée natio­nale ;
• La pra­tique par­ti­sane a fer­mé tout débat ;
• Le régime a mul­ti­plié les lois visant à réduire la liber­té d’expression, depuis de nom­breuses années (cela a com­men­cé par la loi Pleven en 1972, puis les lois Gayssot, Taubira dans les années 90 et 2000, loi 2018–1202 « fake news ou infox »- et main­te­nant la loi Avia n° 2020–766) ;
• Le juge est dans la main du gou­ver­ne­ment : l’avancement de car­rière des juges dépend entiè­re­ment du gou­ver­ne­ment ; les par­quets sont orga­ni­que­ment subor­don­nés au ministre de la Justice ; le Conseil consti­tu­tion­nel, du fait de son mode de nomi­na­tion et du pro­fil de ses membres actuels, est davan­tage une struc­ture poli­tique que juri­dique, en conni­vence directe avec le Pouvoir en place.

Philippe Fabry - président absolu - Ve république contre démocratieSi l’on prend la défi­ni­tion de Montesquieu qui défi­nis­sait les trois pou­voirs devant s’équilibrer :
• le légis­la­tif,
• l’exécutif et
• le judi­ciaire,
on constate aujourd’hui que ces trois pou­voirs sont dans une seule main, celle de l’exécutif et plus par­ti­cu­liè­re­ment, du Président. Le réel chef de l’exécutif n’est pas le Premier ministre, simple « col­la­bo­ra­teur » comme le disait Nicolas Sarkozy, mais le pré­sident de la République, « pré­sident abso­lu », qui du reste, pré­side le conseil des ministres(19). L’avocat , décrit par­fai­te­ment cette situa­tion. Il conclut ain­si : « Le temps presse, car l’accumulation des crises poli­tiques, des révoltes popu­laires, leur accrois­se­ment conti­nu en fré­quence comme en véhé­mence, annoncent la mon­tée pro­gres­sive vers une crise révo­lu­tion­naire vio­lente ».

Bref, il y a confu­sion des trois pou­voirs dans la Ve répu­blique et sa pra­tique actuelle. Mais cette défi­ni­tion, valable au XVIIe siècle, n’est plus entiè­re­ment per­ti­nente aujourd’hui, car deux autres pou­voirs sont appa­rus depuis : il s’agit du pou­voir média­tique et sur­tout, du pou­voir finan­cier, que l’on peut pla­cer au-des­sus de tous les autres. La ques­tion du poids de l’Union euro­péenne, en par­ti­cu­lier de la Commission dans sa pra­tique actuelle, est un autre débat.

Il se trouve qu’aujourd’hui la plu­part des médias sont en réa­li­té des relais de la com­mu­ni­ca­tion du gou­ver­ne­ment, on pour­rait même les qua­li­fier de médias de pro­pa­gande, en par­ti­cu­lier les chaînes d’information en conti­nu : médias publics et médias pri­vés dont 90 % sont la pro­prié­té de neuf oli­garques(20), sou­tiens décla­rés du régime actuel. Ces médias se contentent le plus sou­vent de reco­pier les dépêches de l’AFP, orga­nisme public rele­vant du gou­ver­ne­ment et curieu­se­ment, diri­gé par un préfet.

La France, excep­tion notable par­mi ses par­te­naires euro­péens, est aujourd’hui un régime auto­ri­taire, une pro­to-démo­cra­tie, ou si l’on veut, une démo­cra­tie « Canada Dry ». Le para­doxe de ce régime auto­ri­taire est sa réelle fai­blesse intrin­sèque alors que les déci­deurs poli­tiques se réfu­gient der­rière divers comi­tés Théodule(21), d’experts qui parlent au nom de la « science », et aban­donne la pra­tique du réfé­ren­dum qui est pour­tant un gage de la démo­cra­tie, car le sou­ve­rain n’est autre que le Peuple, même dans la Constitution de 1958.

Olivier Frot

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Oliver Frot

4 Commentaires 

  1. Nous sommes tom­bés dans une plou­to­cra­tie népo­tique : le suf­frage uni­ver­sel n’a plus d’im­pact sur la gou­ver­nance de la France, le Parlement, le Sénat n’ont aucune influence sur les lois et décrets choi­sis par la Présidence pour adap­ter ses déci­sions aux besoins et dési­rs du Peuple. Le Peuple, rési­gné, attend tou­jours de nou­velles élec­tions « pour que cela change », mais le suf­frage uni­ver­sel consiste à voter « contre un can­di­dat » et non « pour le pro­gramme d’un can­di­dat ».
    Ainsi, il suf­fit d’a­voir en lice 2 can­di­dats à moins de 25 % (voir 20 %) au pre­mier tour, dont l’un des deux est « d’ex­trême droite » afin d’as­su­rer une élec­tion (et ré-élec­­tion) d’un can­di­dat de n’im­porte quel bord, puisque gauche, centre et droite ne veulent plus rien dire.
    Cette gou­ver­nance à coup de 49.3 me rap­pelle exac­te­ment les décrets hit­lé­riens à par­tir de 1933, le Reichstag ayant été brû­lé (on ne sau­ra jamais par qui). Le sou­tien au gou­ver­ne­ment non-élu ukrai­nien qui ne s’est jamais caché de sa nos­tal­gie des années 41–44 avec le mode de décrets fran­çais, avec la néga­tion de la culture fran­çaise et la cen­sure sur l’Histoire et la Presse objec­tive me per­met de dire que « l’ex­trême droite » n’est pas repré­sen­tée par Mme Le Pen et son « Rassemblement National », mais par la dic­ta­ture qui s’est ins­tau­rée en France.
    Cette dic­ta­ture n’est pas le seul fait de M. Macron. Elle s’est ins­tal­lée pro­gres­si­ve­ment au fil des gou­ver­ne­ments depuis plus de qua­rante ans et même depuis 1968 où la fièvre des réformes a démar­ré. Pompidou avait créé le « Ministère de la Réforme » pour ten­ter d’en­di­guer la grogne popu­laire qui per­sis­tait à l’é­poque, entre­te­nue lar­ge­ment par les par­tis de gauche et les syn­di­cats.
    Une défi­ni­tion de « Réforme » est de modi­fier un fait pour amé­lio­rer une situa­tion. Or toutes les réformes depuis les années 70 n’ont fait qu’ag­gra­ver le bien-être du Peuple et qu’a­mé­lio­rer le confort et la richesse de quelques-uns, dont des mino­ri­tés qui ne veulent plus s’in­té­grer, amis impo­ser leur volon­té.
    Les choses ne peuvent vrai­ment chan­ger que par des faits his­to­riques comme au 18e siècle ou début 20e, mais qui ont été sui­vis plu­tôt par des catas­trophes à moyen terme.

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  2. Ne pas oublier que les médias — que les lea­ders se sont appro­priés — sont sub­ven­tion­nés par l’État : Je suis oppo­sé à l’u­sage qui en est fait !!!

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  3. Il n’y a pas de démo­cra­tie, la repré­sen­ta­ti­vi­té est une escro­que­rie totale. Quant à la répu­blique ban­caire et franc-maçonne, c’est bon pour la pou­belle. La seule chose est que le Peuple soit Souverain et contrôle tout ! Le nou­veau monde arrive et toute cette matrice per­verse ira en enfer avec tous ses cri­mi­nels et collabos.

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  4. Non pas une PROTO DEMOCRATIE
    Mais vue la tra­hi­son de nos dépu­tés séna­teurs et conseil consti­tu­tion­nel ma France et deve­nue une PUTO CRATIE

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