Au Niger, la France est le dindon d’une farce géopolitique
La chaine publique Radio France Internationale(1) (RFI) souligne laconiquement l’apparente contradiction selon laquelle « Malgré leur condamnation du coup d’État perpétré fin juillet, les Américains avaient envoyé une diplomate en poste à Niamey. Kathleen FitzGibbon était arrivée dans le pays mi-août. […] Samedi 2 décembre, elle a franchi une nouvelle étape en remettant les copies figurées de ses lettres de créance aux autorités. Un geste apprécié par la junte. » Faut-il être aveugle, incompétent ou de mauvaise foi, ou les trois, pour s’étonner de l’évolution d’une situation si mal gérée par la France, largement responsable de ses causes et de ses conséquences ?
En septembre 2022, dans cette tribune(2), alors que le Premier Ministre par intérim du Mali, lors d’un discours marquant au siège des Nations Unies, avait retoqué pour son ingérence le Ministre des Affaires étrangères français, nous avions constaté que le Mali a un atout face à la France : il agit en tant que souverain dans son pays, alors que la France intervient depuis l’étranger comme redresseur de torts. Que les populations africaines n’aspirent pas à la stabilité quand celle-ci n’est qu’immobilisme social et accaparement, par une minorité protégée, des richesses du pays au détriment de son développement. La paix n’est pas l’absence de guerre, et le fossé entre les « élites » et les populations ne cessait de s’aggraver. Celles-ci attendent de leurs dirigeants qu’ils redistribuent une part décente des ressources nationales et des aides internationales (« après détournements », comme on dirait « après impôts ») et qu’ils leur assurent un coût de la vie supportable, l’accès à des soins médicaux et à une éducation dignes de ce nom, secteurs sinistrés en Afrique quoique perfusés d’argent international.
Le mois suivant, au lendemain d’un putsch au Burkina Faso, nous avions témoigné ici(3) que, vu d’Afrique, on assiste à l’enchainement inéluctable de « printemps africains » qui se succèdent depuis une décennie dans les pays francophones, soulèvements populaires dont les causes (mauvaise gouvernance, désespérance, ingérences) et leurs conséquences (insécurité, précarité, révoltes) sont évidentes. Aucun pays n’était désormais à l’abri. Et que le rejet de la France n’est pas la cause profonde de ces « événements », mais le catalyseur d’une immense frustration et d’une sourde colère envers des dirigeants défaillants et prédateurs soutenus par elle, ou perçus comme tels. Ce serait d’ailleurs exagérer l’importance, décroissante, et l’influence, déclinante, de la France comme puissance politique et économique.
Dès le lendemain de la prise de pouvoir au Niger par les putschistes, le 26 juillet dernier, nous avions anticipé avec raison que « l’ultime ultimatum » de la France(4) aux putschistes ne serait pas suivi d’effet. Lâchée par ses alliés africains, pourtant premiers intéressés, son bluff sans suite faute de volonté ni de moyens, n’a fait que la discréditer un peu plus sur la scène internationale. Le psychodrame affligeant qui a suivi l’entêtement de l’État français, où la diplomatie de long terme a été sacrifiée à une politique étrangère(5) fébrile et contreproductive, s’est achevé avec l’expulsion humiliante, dans des conditions imposées, des troupes françaises, sous protection préventive, depuis Abidjan, du prestigieux 2e Régiment Étranger de Parachutistes (2e REP). Quarante ans après la bataille de Kolwezi, la pilule est amère et cette retraite française par abandon politique laissera des traces douloureuses dans l’armée.
Ainsi, la France est le dindon d’une mauvaise farce géopolitique, lâchée par ses alliés africains et bernée par les États-Unis, son pire allié en Afrique. La leçon de Dien Bien Phu a été oubliée. L’œuvre macronienne de déconstruction de la France sur son sol, et de déclassement à l’extérieur par des élites hors-sol, est En Marche forcée. Comme ailleurs, le Niger n’est plus qu’un terrain d’affrontement indirect entre trois puissances internationales : les États-Unis dominants, la Chine omniprésente et la Russie, déjà présente et conquérante.
Jean-Michel Lavoizard
Les États-Unis maintiennent leurs relations diplomatiques avec le Niger [source]
Réquisitoire malien contre les autorités françaises : l’effet boomerang d’une politique d’ingérence [source]
Putsch au Burkina Faso : au-delà du rejet de la France, les printemps africains avancent [source]
Au Niger, la diplomatie est sacrifiée à la politique étrangère [source]
Jean-Michel Lavoizard est le dirigeant-fondateur de la société ARIS – Advanced Research & Intelligence Services.
Jean-Michel Lavoizard publie également sur Boulevard Voltaire.
Nul n’est prophète en son pays.
L’aveuglement de notre classe dirigeante est de la pire espèce qui soit car il résulte de points de vue idéologiques mille fois affirmés depuis plus de 40 ans. En outre, ces points de vue s’adossaient à un discours moralisateur leur donnant l’apparence d’une vérité indiscutable. Dès lors, ces positions ne peuvent plus être des opinions, éventuellement amendables, mais une sorte de religion que l’on ne peut abjurer. Dans ces conditions, il n’y a pas d’évolutions possibles ni même d’inflexions. Nos dirigeants et tous les faiseurs d’opinions sont prisonniers de leur doxa, n’en peuvent changer sauf à se discréditer et à perdre Pouvoir et influence. Peut-être sommes nous proches de ce moment dont on peut craindre que ses conséquences soient terribles et plongent le pays dans une agitation furieuse.
Par certains aspects (refus de la réalité, incompétence de la classe dirigeante, méconnaissance de l’opinion des Français), cette situation ressemble à celle de 1789. Sans parler de la situation budgétaire quasiment insoluble aujourd’hui comme hier.
Comme vous le voyez, je plonge dans le pessimisme.
Je ne suis pas français mais j’apprécie que l’on aime son pays. Et je sens beaucoup d’amour dans ces écrits.
Espérons que les élites françaises se réveillent et comprennent l’intérêt de redevenir la puissance africaine qu’elle fut antan. Ce sera bon pour les Africains, meilleur en tout cas que de se faire dépecer par des Chinois ou plumer par des Américains.